André Gaudreault, professeur à l’Université de Montréal, est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques (2015-2022) – première chaire de recherche de niveau 1 jamais accordée dans le champ des études cinématographiques par le Programme des chaires de recherche du Canada – sous l’égide de laquelle il a fondé en 2016 le Laboratoire CinéMédias.
La Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques a pour mission d’interroger le rôle de l’innovation technologique dans le développement des formes et des pratiques cinématographiques, en s’attardant plus précisément aux deux extrémités du continuum historique : l’avènement, au tournant du vingtième siècle, du cinéma proprement dit et, un siècle plus tard, l’irruption du numérique dans le paysage médiatique. Depuis 2018, ce mandat s’est élargi en ouvrant l’interdisciplinarité des recherches menées au sein du Laboratoire CinéMédias sur une intersectorialité qui mise sur la collaboration de chercheurs en cinéma avec des chercheurs en neurologie, en biomécanique, en physique et en psychologie pour conduire des réflexions et des expérimentations sur le mode des sciences « dures ».
Site officiel d’André Gaudreault
Cet axe de la Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques vise à étudier les discours sur les techniques et technologies du cinéma tels qu’ils ont été formulés par les établissements de transmission des savoirs culturels (musées, cinémathèques, écoles, revues, bibliothèques, etc.), en tenant compte de leur évolution depuis l’avènement du cinéma jusqu’à l’ère numérique.
Si cet axe contribue inévitablement à parfaire une histoire technologique encore fragmentaire, le but principal d’un tel télescopage temporel n’est pas de tracer une filiation simpliste entre deux périodes marquées par l’arrivée d’une nouvelle technologique majeure (le dispositif du cinéma photochimique et le cinéma numérique). En effet, s’il est un acquis de la recherche sur le cinéma des premiers temps qu’il est nécessaire d’intégrer à notre compréhension des médias numériques, c’est bien de ne pas le concevoir comme un objet autonome, mais comme un objet multiple, au croisement de plusieurs séries culturelles, technologies et institutions. L’archéologie des médias ne pense pas l’histoire en termes binaires ou généalogiques, mais cherche à créer de nouvelles continuités, en se frottant à des sources souvent négligées. Aussi, cet axe ne s’intéresse pas à la dimension strictement « matérielle » de la technologie, mais plutôt à sa dimension épistémologique, et cherchera dans diverses manifestations discursives certains motifs récurrents permettant d’expliquer la place qu’occupe la technologie dans la façon de concevoir le cinéma, de l’enseigner et d’en écrire l’histoire.
Pourtant centrale chez les premiers commentateurs du cinéma, la question technique s’étiole durant le processus d’institutionnalisation du cinéma, jusqu’à céder le pas à d’autres enjeux, tels que les films, les auteurs et les courants. Confinées aux milieux des collectionneurs et des praticiens (cinéastes, monteurs, directeurs photo, enseignants, etc.), les préoccupations techniques semblaient avoir déserté le discours scientifique sur le cinéma. Il faudra attendre l’arrivée du numérique pour que la technologie réapparaisse avec force dans les discours sur le cinéma. Dans la foulée du numérique, en effet, voilà que les caméras, projecteurs, supports de diffusion, effets spéciaux, et autres redeviennent des objets dignes d’investigation. Qu’est-ce qui explique cette résurgence ? Se peut-il que la technologie soit la catégorie épistémologique qui incarne le mieux l’idée d’innovation et, qu’à cet égard, elle permette plus aisément de donner forme aux craintes et aux aspirations qui accompagnent tout changement d’envergure ? Est-ce que, pour reprendre le modèle de la double naissance des médias, ces discours sur la technologie jouent un rôle nécessaire dans le passage de la période intégrative du nouveau média à celle de son autonomisation institutionnelle ? Que contiennent les premiers discours qui commentent l’impact des technologies cinématographiques sur la formation d’une approche disciplinaire et sur les pratiques d’enseignement de celle-ci ? En ce sens, la Chaire s’intéresse aux discours qui commentent l’impact des technologies sur les pratiques culturelles déjà établies, ainsi qu’à ceux qui anticipent leur impact futur, avec appréhension ou utopisme.
Cet axe vise à lever le voile sur la délicate question de l’identité du cinéma, alors que la distinction entre les médias s’estompe de plus en plus. Est-ce que le cinéma conservera une certaine spécificité même s’il est de plus en plus investi par d’autres médias et pour d’autres fins que celles qu’on lui connaissait à l’époque du cinéma classique ? La « digitalisation croissante du cinéma » est-elle le principal facteur qui explique les bouleversements actuels ? Ces questions d’ordre théorique nécessitent que l’on se penche sur le rôle changeant des salles de cinéma et sur l’impact des nouveaux modes de distribution et de diffusion associés aux plateformes numériques, afin de les confronter aux pratiques dites « classiques » du cinéma.
Cette réflexion se concentre sur les développements les plus récents du média, principalement en ce qui a trait au « hors-film » – ces projections d’événements culturels et sportifs qui ont lieu dans les salles de cinéma – et au « hors-cinéma » – ces transmissions de films sur plateformes numériques personnelles. Ces deux catégories exemplifient parfaitement la perméabilité et la mobilité des contenus médiatiques à l’ère du numérique et sont au centre de la crise identitaire actuelle. Deux exemples précis anime particulièrement la recherche. D’une part, les opéras filmés – comme ceux diffusés en direct, sur grand écran, par le MET de New York – qui se présentent comme une réappropriation originale de la salle de cinéma traditionnelle. L’une des premières manifestations culturelles non filmiques à s’immiscer dans les multiplex, les opéras filmés modifient radicalement le « dispositif de base » de la salle de cinéma et la posture spectatorielle classique, en plus de bénéficier d’une vitrine promotionnelle et d’une couverture journalistique significative, ce qui en facilite l’examen attentif. D’autre part, la « mobiloscopie », c’est- à-dire le visionnage de contenu audiovisuel sur dispositifs portables de petite taille, est quant à elle au cœur de la réflexion entourant le « hors-cinéma ». Il s’agit entre autres d’étudier la consommation de films en rapport à celle d’autres contenus offerts par les services de vidéotransmission (Netflix, Hulu, etc.) et d’évaluer comment cela affecte notre compréhension du cinéma en tant que média spécifique.
Ces recherches pourront bénéficier d’un ensemble d’infrastructures (base de données et Encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma en ligne) en cours de développement dans le cadre du partenariat international de recherche sur les techniques et technologies du cinéma, TECHNÈS (2015-2022). Nous assurons ainsi le maintien de la « veille scientifique » mise en place durant la rédaction de La fin du cinéma ? afin de recenser dans la presse quotidienne et spécialisée les dernières manifestations de ce cinéma nouveau genre. Cette fois, en revanche, l’attention est surtout portée sur les deux sujets susmentionnés, soit les opéras filmés et la mobiloscopie. En plus des textes ainsi repérés et indexés dans notre base de données, nous recueillons les témoignages de divers professionnels impliqués dans la diffusion de contenu numérique. L’objectif de ces entretiens est d’enrichir l’Encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma de propos émanant directement de l’industrie des médias, offrant ainsi un complément essentiel aux sources secondaires consultées.
Cet axe est le prolongement logique de celui sur l’épistémologie et l’identité du cinéma, puisqu’il examine un exemple concret mettant en lumière certains enjeux clés de l’histoire technologique et de l’identité du cinéma. Le choix du montage n’est pas fortuit : il s’agit d’un intérêt de recherche majeur dans la carrière d’André Gaudreault. C’est aussi une notion capitale dans la façon de concevoir la spécificité du cinéma. Cet axe vise à mesurer l’impact des technologies sur les modes de segmentation, de fragmentation et d’assemblage des films, mais aussi, par extension, à décrire la relation qu’entretient la technologie avec l’esthétique et l’articulation narrative des films.
À nouveau, un rapprochement entre le cinéma des premiers temps et le cinéma numérique sera tenté, de manière à poser les fondations théoriques d’un nouveau modèle de pensée du montage qui soit ancré dans une approche panhistorique. La Chaire vise à évaluer comment les avancées technologiques ont encouragé, d’une part, le développement du montage narratif dans les années 1900 et, d’autre part, la conflagration des pratiques de montage institutionnelles dans les années 2000, mais interroge également, et inversement, la façon dont les contingences artistiques et industrielles ont encouragé le développement technologique. L’innovation technologique et l’innovation artistique relèvent en effet d’un processus mutuel d’échanges et d’adaptations. C’est pourquoi nous nous penchons aussi bien sur les technologies elles-mêmes que sur les discours techniques, professionnels, populaires qui les entourent, de manière à mettre en relief cette dynamique particulière.
Depuis plusieurs années les travaux d’André Gaudreault ont contribué à éclairer l’histoire du montage, mais jamais encore sous l’angle de la technologie. La résurgence actuelle de la problématique technologique incite cependant à revisiter cette histoire, en s’arrêtant sur les multiples technologies afférentes ou périphériques au montage. Dans quelle mesure les nouveaux dispositifs affectent-ils réellement la pratique du montage ou répondent-ils à des demandes formulées par des praticiens ? Un questionnement similaire est proposé pour ce qui concerne l’arrivée du montage non linéaire. D’une part, afin de valider différentes assertions répandues qui n’ont jamais été examinées à la loupe historique, comme celles qui avancent l’effritement de la causalité narrative ou la résurgence de procédés « attractionnels » typiques du cinéma premier (boucle, apparition-substitution, plan long) dans les films montés de façon non linéaire. D’autre part, la confrontation du passé et du présent permettra d’étoffer et de donner de la teneur au modèle conceptuel vers lequel tendent d’ailleurs tous les travaux de la Chaire. Toute l’originalité de ce modèle, en effet, réside dans les connexions qu’il permettra d’établir entre l’histoire passée et l’histoire actuelle du montage.
Publication de la 3e édition de l’ouvrage Le récit cinématographique
André Gaudreault et François Jost, Armand Colin, 2017
À l’occasion de cette réédition, les références cinématographiques ont été actualisées, l’étude du récit a été étendue aux séries télévisées et des analyses de séquences de films et de séries ont été ajoutées pour illustrer l’usage que l’on peut faire des concepts.
The End of Cinema ? A Medium in Crisis in the Digital Age
André Gaudreault and Philippe Marion
(translated by Timothy Barnard), Columbia University Press, 2015
Is a film watched on a video screen still cinema ? Have digital compositing, motion capture, and other advanced technologies remade or obliterated the craft ? Rooted in their hypothesis of the “double birth of media,” André Gaudreault and Philippe Marion take a positive look at cinema’s ongoing digital revolution and reaffirm its central place in a rapidly expanding media landscape.
La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique
André Gaudreault et Philippe Marion, Armand Colin, 2013
Le numérique tuera-t-il le cinéma ?
Submergé par la déferlante du numérique, qui brouille radicalement les frontières entre les médias (cinéma, télévision, BD, Internet, téléphonie, etc.), le cinéma serait en train de mourir : la chaleur du photochimique a cédé le terrain à la froideur du pixel et le hors-film a commencé à envahir, avec ses transmissions par satellite, les salles dévolues au septième art. Pourtant le cinéma est partout : il s’inscrit sur de nouveaux supports et s’affiche sur de nouveaux écrans. On peut néanmoins se demander si un film en DVD vu sur écran vidéo, c’est encore du cinéma, et si les images encodées du compositing numérique et de la motion capture relèvent toujours du cinématographique.
En s’appuyant sur leur hypothèse de la « double naissance des médias », les auteurs de La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique interrogent les soubresauts identitaires que le cinéma traverse aujourd’hui et proposent des clefs pour comprendre l’impact du numérique sur l’univers médiatique actuel. Serions-nous en train d’assister à une troisième naissance du cinéma ?
Film and Attraction : From Kinematography to Cinema
André Gaudreault (Translated by Timothy Barnard), University of Illinois Press, 2011
Establishing a new vision for film history, Film and Attraction : From Kinematography to Cinema urges readers to consider the importance of complex social and cultural forces in early film. André Gaudreault argues that Edison and the Lumières did not invent cinema ; they invented a device. Explaining how this device, the kinematograph, gave rise to cinema is the challenge he sets for himself in this volume. He highlights the forgotten role of the film lecturer and examines film’s relationship with other visual spectacles in fin-de-siècle culture, from magic sketches to fairy plays and photography to vaudeville.
Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe
André Gaudreault, CNRS Éditions, 2008
Revenir au seuil du cinéma, tel est le défi de cet ouvrage. Au-delà des histoires traditionnelles, André Gaudreault nous montre que les frères Lumière ont inventé, en 1895, un appareil de prise de vues permettant la projection de vues animées, le Cinématographe, mais nullement le cinéma. Le cinéma ne s’«invente » pas, nul brevet à déposer, mais s’institue, progressivement et collectivement.
C’est une nouvelle approche que nous propose André Gaudreault dans cet ouvrage documenté. Il ressuscite un univers occulté avec le bonimenteur ou commentateur de la projection, le complice du « vil exhibiteur » ou gérant de la salle. Il nous découvre ses sources d’inspiration : du théâtre au cirque et à la photographie. L’oeuvre de Méliès est ici étudiée dans toute sa richesse et dans toutes les étapes de sa création, en particulier dans son atelier.
Un nouveau regard sur le cinéma, une étude indispensable suivie de l’édition critique du fameux texte intitulé « Les vues cinématographiques » de Georges Méliès (1907).
From Plato to Lumière : Narration and Monstration in Literature and Cinema
André Gaudreault (Translated by Timothy Barnard), University of Toronto Press, 2009
Building a theory of narrative on sources as diverse as Plato, The Arabian Nights,and Proust, From Plato to Lumière challenges narratological orthodoxy by positing that all forms of narrative are mediated by an “underlying narrator” who exists between the author and narrative text. In this work, Gaudreault examines the practices of novelists, playwrights, and filmmakers and applies his theory to the early cinema of the Lumière brothers and more recent films. He also enhances our understanding of how narrative develops visually without language – monstration – by detailing how the evolution of the medium influenced narratives in cinema.
Du littéraire au filmique. Système du récit
André Gaudreault, Armand Colin, 1999
Il est mille et une façons de raconter. Tel récit est livré par le truchement de cette instance textuelle qu’est le narrateur, tel autre semble au contraire distillé par celui-là même qui l’a composé, l’auteur. Allant à l’encontre de l’orthodoxie narratologique en la matière, le sytème du récit sur lequel se fonde cet ouvrage revient à poser, quel que soit le cas, une instance intermédiaire, le narrator, située entre l’auteur et son texte narratif, et qui serait responsable, fondamentalement, de la communication narrative. Les pratiques narratives du romancier, du dramaturage et du cinéaste sont interrogées dans la perspective d’une ” narratologie de l’expression “, afin de projeter un éclairage neuf sur les plus importants principes du récit. Une relecture du Platon de la République et un réexamen de certains ” cas ” devenus classiques de la narratologie (des Mille et Une Nuits à La Recherche de Proust) permettent de définir les deux modes fondamentaux de la communication narrative : la narration et la monstration. A l’aide de ces concepts, on jettera ici les bases d’une théorie narratologique du cinéma que l’on appliquera d’abord au cinéma des premiers temps.
« Résilience du mot “cinéma” et persistance du média », Anais do V Simpósio Internacional de Inovação em Mídias Interativas, 2019, (version très largement augmentée d’une communication intitulée « La résilience du “cinéma” » transmise par vidéoconférence le 11 mai 2018 au 5e Symposium international sur l’innovation dans les médias interactifs (SIIMI), organisé par le Media Lab de l’Universidade Federal de Goiás, à Goiânia, au Brésil). En anglais « The Resilience of the Word “Cinema” and the Persistence of the Media », dans Richard Grusin et Jocelyn Szczepaniak-Gillece (dir.), Ends of Cinema, Minneapolis, University of Minnesota Press, à paraître en 2020. PDF
Liste complète des publications d’André Gaudreault ici.
La Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques (2015-2022) organise régulièrement dans le cadre de ses grandes conférences des rencontres avec certains des meilleurs spécialistes du domaine.
Vous pouvez consulter les captations filmées des grandes conférences suivantes :
La Neurognosis. Unir les arts et les sciences par la connaissance du cerveau, Vladimir Hachinski (Western University), 2 mai 2019, Université de Montréal.
Les séries, prolongation du film ? Jean-Pierre Esquenazi, (Université Lyon 3), 26 mars 2018, Université de Montréal.
Interaction, Algorithmic Assembly, Embodied Montage : Organizing Sequence and Time in New Media Settings, William Urrichio (Massachusetts Institute of Technology), 4 mai 2017, Cinémathèque québécoise.
Winsor McCay Performs Gertie (1914) : Liveness and Animation, Donald Crafton (University of Notre Dame), 28 septembre 2016, Université de Montréal.
Instances cinéphobiques dans la culture cinématographique des premiers temps, Francesco Casetti (Yale University), 28 septembre 2016, Université de Montréal.
Vous trouverez ci-dessous les actualités passées de la Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques.
2 mai 2019 : Premières rencontres intersectorielles de l’Université de Montréal sur le rythme
5 et 6 décembre 2019 : Deuxièmes rencontres intersectorielles de l’Université de Montréal sur le rythme. Aux sources du rythme.
8 mai 2018 : André Gaudreault, Lauréat du Prix Killam 2018 en Sciences Humaines
31 octobre 2017 : André Gaudreault, lauréat du prix Léon-Gérin 2017
4 mai 2017 : Colloque : où (en) est le cinéma ?
24 avril 2017 : L’invention littéraire des médias
25 novembre 2016 : Colloque international : voyage au centre de la machine cinéma
2 novembre 2016 : 50e anniversaire du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques
17 octobre 2016 : Nouveau laboratoire de recherche : CinéMédias
6 octobre 2016 : André Gaudreault nommé chevalier de l’Ordre des arts et des lettres de la République française
24 mai 2016 : Traduction en portugais de LA FIN DU CINÉMA ? UN MÉDIA EN CRISE À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE