Le cinéaste Charles-Stéphane Roy propose une expérience inédite lors de laquelle la trame sonore de son film est générée en fonction de l’activité cérébrale du public.
Hugo Samson
Grâce à l’appui du partenariat cinEXmedia, le film de « cinéma adaptatif » V F C sera présenté parmi la section Explore du Festival du nouveau cinéma. Rendez-vous au Cinéma Moderne, à Montréal, le 12 octobre prochain, afin de vivre cette expérience audiovisuelle inédite en personne. En attendant, je me suis entretenu avec Charles-Stéphane Roy, le producteur, réalisateur et scénariste du film.
Le « cinéma adaptatif »
Au début de V F C, une chercheuse en neurosciences subit un choc émotionnel incontrôlable en entendant un morceau de musique qui lui est livré dans un mystérieux colis. Lorsque ses collègues constatent l’effet que de cette pièce musicale produit sur elle, ils décident de l’écouter à leur tour, et s’exposent, comme elle, à un grand choc.
Le film a la particularité de comprendre une bande sonore qui varie selon l’expérience cérébrale de chacun·e de ses spectateur·rices au moment du visionnement. L’équipe de V F C a nommé cette pratique le « cinéma adaptatif ».
« On utilise un électroencéphalogramme pour analyser les données cérébrales en temps réel, explique Charles-Stéphane Roy. L’audio « adaptatif » est utilisé depuis longtemps dans le domaine du jeu vidéo, entre autres. Notre défi était d’appliquer cette technique à une expérience de cinéma linéaire. Les gens voient donc la même chose, mais n’entendent pas la même chose au même moment. »
L’électroencéphalogramme transmet les données cognitives du public à un serveur qui les filtre, les analyse et les associe à des trames sonores préétablies. Ces trames sont ensuite transmises aux spectateur·rices par des casques audio à conduction osseuse, qui font jouer à la fois la trame sonore du film et une bande-son personnalisée.
L’équipe a décidé de ne pas inclure de dialogues dans le film. « L’idée était de véhiculer de l’information et certaines émotions par la musique et par l’image plutôt que par les dialogues, comme c’est le cas dans les films traditionnels », explique le cinéaste.
Quand on l’interroge sur les retours du public, Charles-Stéphane Roy répond que son film provoque « un peu la même réaction chez les gens que celle qu’ils·elles ont lorsqu’ils·elles essaient pour la première fois la réalité virtuelle ». « C’est impossible de s’imaginer l’expérience sans l’avoir essayée. Ça te met dans un état avec lequel tu n’es pas forcément familier·ère. »
L’information entre les mains du public
L’expérience V F C se prolonge à l’extérieur de la salle de cinéma. Un rapport est offert à chaque spectateur·rice afin qu’il·elle puisse consulter les données produites par son expérience cognitive pendant le visionnement du film.
« L’un de nos objectifs était d’offrir une grande variété d’expériences. Si les gens comparent leurs profils et que c’est juste cinquante-cinquante, on passe à côté de notre objectif. On voulait que les gens puissent voir qu’il y a plusieurs façons de faire l’expérience du film. »
Au lieu de dévoiler les informations du rapport directement, l’équipe de production a d’ailleurs opté pour une formule plus interactive, où les spectateur·rices doivent d’abord émettre des hypothèses quant aux résultats qu’ils·elles pensent obtenir avant de les recevoir.
« On trouvait ça intéressant, parce que si on fait un sondage papier, les gens se fient à leur mémoire, ils·elles se fient à une impression et peuvent écrire n’importe quoi. Tandis que là, on compare leurs impressions avec des résultats de données très concrètes. »
Le réalisateur précise que les rapports sont bien vulgarisés. « Ça s’adresse à monsieur et madame Tout-le-monde », affirme-t-il. « On explique le processus par lequel on est passé·e. Par la suite, on donne des informations plus concrètes comme le nom du personnage qui a le plus capté l’attention des gens ou la scène qui a le plus capté leur attention. » Les rapports révèlent également le pourcentage de temps que chaque spectateur·rice a passé dans un état d’activité cérébrale dynamique et, inversement, dans un état plutôt calme.
Cinéma et neurosciences
L’équipe de production de V F C est composée de professionnel·les du cinéma, de chercheur·euses en neurosciences, d’expert·es en interactivité et de designers en expérience utilisateur·rice. « Ce ne sont pas des gens qui ont l’habitude de travailler ensemble, donc il a fallu trouver un langage commun pour que tout le monde puisse se comprendre », ajoute Charles-Stéphane Roy.
« Presque toutes les théories de la narrativité, jusqu’à très récemment, pouvaient être expliquées par la façon dont le cerveau réagit avec l’analyse de films. On se rend compte que le cerveau passe toujours d’un état d’observation à un état de réaction et qu’il retombe ensuite en état d’observation. Ça se fait presque automatiquement. La façon dont on raconte les histoires tient compte de ça, que ce soit sur dix minutes ou sur trois heures. »
La technologie développée par l’équipe du film ouvre la porte à de nombreuses possibilités. « On est en discussion avec des organismes et des studios pour essayer d’implémenter le système qu’on a créé dans d’autres projets, soit en cinéma, soit dans les médias immersifs, affirme le cinéaste. On voit qu’il y a un réel potentiel pour les spectacles vivants, pour les performances, pour tout ce qui est collectif. »