Portrait : Pauline Sarrazy, de la poésie scénaristique à l’écriture des rêves

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La doc­to­rante met à pro­fit ses recherches sur la fonc­tion poé­tique du scé­na­rio dans une ana­lyse de rap­ports de rêves pour le Labo­ra­toire CinéMédias.

Pho­to : une image tirée du film La leçon de pia­no (Jane Cam­pion, 1993)

Au fil de ses études, la doc­to­rante en ciné­ma à l’Université de Mont­réal Pau­line Sar­ra­zy a acquis des com­pé­tences non seule­ment en études ciné­ma­to­gra­phiques, mais aus­si en ana­lyase de textes. Sa thèse, menée sous la direc­tion d’Isabelle Ray­nauld, codi­rec­trice de cinEXmedia, s’intéresse ain­si à la poé­sie propre au scé­na­rio depuis un angle esthé­tique – une approche qu’elle applique éga­le­ment à l’étude de rap­ports de rêves, dans le cadre d'un pro­jet mené par San­tia­go Hidal­go au Labo­ra­toire CinéMédias.

Pau­line Sar­ra­zy a récem­ment rete­nu l’attention de la com­mu­nau­té étu­diante : elle a rem­por­té le pre­mier prix de la finale locale du concours « Ma thèse en 180 secondes » et elle repré­sen­te­ra l’Université de Mont­réal à la finale natio­nale lors du pro­chain congrès de l’Acfas, le 7 mai.

C’est la lec­ture du scé­na­rio du film La Leçon de pia­no (1993), écrit et réa­li­sé par Jane Cam­pion, qui lui a ins­pi­ré son sujet de thèse. « Cette trou­vaille a pro­vo­qué de grands chocs en moi, a-t-elle racon­té lors de sa per­for­mance. Le pre­mier fut de consta­ter la rare­té de cet objet. En France et au Qué­bec, seuls cinq à dix scé­na­rios sont publiés chaque année, contre des cen­taines de pièces de théâtre. Pour­quoi ? Parce que le scé­na­rio est encore per­çu comme un texte neutre, sans style, uni­que­ment des­ti­né à la production. »

« Gui­der la récep­tion sen­sible de l’œuvre »

La cher­cheuse s’intéresse à la poé­sie inhé­rente au scé­na­rio, qu’elle voit comme une façon de « gui­der la récep­tion sen­sible de l’œuvre, car elle recèle en elle-même les élé­ments de mise en scène ain­si que l’âme du film », explique-t-elle en entre­vue. « La poé­sie scé­na­ris­tique inclut notam­ment les indi­ca­tions tech­niques rela­tives au son, à la lumière ou au mon­tage. C’est ce qui per­met, fina­le­ment, de gui­der l’expressivité poé­tique du maté­riau audio­vi­suel du futur film. »

Cette approche va à l’encontre de nom­breux manuels d’écriture scé­na­ris­tique, qui pré­co­nisent un style mini­ma­liste, neutre et tech­nique pour ne pas entra­ver à la clar­té de réa­li­sa­tion du film à pro­duire. Elle ouvre néan­moins d’étonnantes pers­pec­tives sur l’écriture de scé­na­rio, que la doc­to­rante explore comme un lieu où « la poé­sie réside sous les mots et les images ». « En tant que scé­na­riste, nous habi­tons l’écriture d’un rap­port sin­gu­lier au monde. Lire un scé­na­rio, c’est alors s’ouvrir au par­tage sen­sible qui nous est trans­mis autant que d’éveiller la sen­si­bi­li­té sin­gu­lière de notre ima­gi­naire cinématographique. 

Pho­to : cour­toi­sie de Pau­line Sar­ra­zy | La doc­to­rante Pau­line Sarrazy

Sa thèse s’appuie sur les scé­na­rios de cinéastes tels que Miche­lan­ge­lo Anto­nio­ni, Wim Wen­ders, Chan­tal Aker­man et Bru­no Dumont. Pour elle, ces artistes, consi­dé­rés par la cri­tique comme des « poètes de la camé­ra » font naître la poé­sie non pas seule­ment au moment de la réa­li­sa­tion fil­mique, mais dès la créa­tion scé­na­ris­tique. Elle étu­die éga­le­ment des scé­na­rios non réa­li­sés d’Antonioni, qu’elle consi­dère comme une part impor­tante de son œuvre.

Dia­logue entre rêves et cinéma

Pau­line Sar­ra­zy fait aus­si par­tie d’une équipe qui s’intéresse à l’influence du ciné­ma sur les rêves au sein du Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias. Outre la doc­to­rante, l’équipe est com­po­sée de San­tia­go Hidal­go (direc­teur du par­te­na­riat), Tho­mas Car­rier-Lafleur (direc­teur adjoint et coor­don­na­teur de la recherche), Tara Kar­mous (coor­do­na­trice prin­ci­pale), Rosa­lie Cari­gnan (adjointe à la coor­di­na­tion), Pierre Che­mar­tin (pro­fes­sion­nel de recherche) et de Félix Ray­mond (auxi­liaire de recherche).

Son rôle consiste à ana­ly­ser les « traces du lan­gage ciné­ma­to­gra­phique » dans des rap­ports de rêves recueillis par le Labo­ra­toire de recherche sur les rêves de l’Université de Mont­réal, diri­gé par le spé­cia­liste du som­meil Anto­nio Zadra. Ces docu­ments, pro­duits en contexte cli­nique, sont des des­crip­tions de rêves rédi­gées par des patients et des patientes et for­mu­lées lors de cer­taines phases pré­cises de leur sommeil.

« Quand tu rêves, tu peux te per­ce­voir de l’extérieur comme l’on obser­ve­rait un per­son­nage de film, ou à l’inverse fondre ta per­cep­tion à son regard comme dans le cas de la camé­ra sub­jec­tive, explique Pau­line Sar­ra­zy. Les points de vue interne et externe, le “je” per­son­nage et le “je” nar­ra­teur, sont des élé­ments scé­na­ris­tiques qu’on retrouve aus­si dans les rêves. » Elle sou­ligne ain­si les paral­lèles qui existent entre l’écriture scé­na­ris­tique et l’écriture oni­rique : « Les séquences, le mon­tage, les aspects audio­vi­suels sont autant de com­po­santes du lan­gage ciné­ma­to­gra­phique qui peuvent éclai­rer l’analyse des rêves. »

Ce tra­vail l’a d’ailleurs menée à par­ti­ci­per à l’organisation, avec le par­te­na­riat cinEXmedia, du col­loque S’endormir en images : l’impact des conte­nus audio­vi­suels sur le som­meil et les rêves. Celui-ci se tien­dra le 9 mai pro­chain, à l’École de tech­no­lo­gie supé­rieure, dans le cadre de la 92e édi­tion du Congrès de l’Acfas. Pour en savoir plus, consul­tez ce texte d'Olivier Du Ruisseau.