À la manière du film Inception (Christopher Nolan, 2010), Michelle Carr espère modifier directement nos rêves grâce à « l’ingénierie des rêves ».
Hugo Jacquet
Et s’il suffisait de mieux regarder pour mieux s’endormir ? C’est ce qu’espère découvrir Michelle Carr, professeure adjointe au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, qui vient tout juste d’être nommée co-chercheuse au partenariat cinEXmedia, afin de mener des projets intersectoriels combinant les études cinématographiques et la science du sommeil.
Cela fait plus de dix ans que la chercheuse œuvre à dissiper les mystères du sommeil. Son ambition est de « comprendre comment influencer le contenu des rêves à travers le cinéma et comment exploiter le cinéma à des fins thérapeutiques ».
Pour ce faire, Michelle Carr recourt à « l’ingénierie des rêves », une méthode qu’elle a développée et qui consiste à utiliser les technologies pour manipuler les rêves et améliorer la mémoire, la créativité et le bien-être. « Je fais par exemple le lien entre les rêves des participant·es et certains stimuli filmiques qui ont précédé leur endormissement, comme des sons ou des effets visuels. Puis, durant leur sommeil, je reproduis ces stimuli en diffusant le son d’un film, par exemple, pour influencer leurs rêves, un peu comme si je les infiltrais. L’idée, c’est de repérer les conditions de création des rêves agréables, et de les maximiser. »
Démêler le vrai du faux
Les participant·es du projet de la chercheuse proviennent de tous les horizons. Les travaux de Michelle Carr avec le partenariat cinEXmedia s’adressent à quiconque voudrait améliorer son sommeil et pourrait avoir du mal à s’y retrouver parmi l’abondance de conseils que l’on trouve à cet égard sur les réseaux sociaux et dans les magazines. Méditation et exercices de respiration, lectures soporifiques, rituels de beauté : à chacun·e sa routine pour accélérer son endormissement. « Une étude prouve les bienfaits de l’huile essentielle de lavande que l’on dépose sur l’oreiller, et il y en a d’autres qui recommandent de diffuser des odeurs agréables dans la chambre, explique Michelle Carr. Donc, oui, ça peut quand même fonctionner. »
Mais la chercheuse nous met en garde contre d’autres présomptions communes : « On a longtemps pensé que le sommeil profond [l’une des trois phases du sommeil] était la condition d'un sommeil réparateur, car l’activité cérébrale est faible. En fait, nos recherches montrent que le sommeil paradoxal, durant lequel l’activité cérébrale est très intense car nous rêvons, est encore plus déterminant pour se sentir reposé au réveil. » Quand on lui demande les critères d’un bon sommeil, Michelle Carr rappelle l’importance des données qualitatives.
Étonnamment, les données physiologiques (rythme cardiaque, activité cérébrale, etc.) ne concordent pas toujours avec l’expérience réellement vécue, explique-t-elle : « Certain·es patient·es disent souffrir d’insomnie alors qu’en réalité, ces personnes font des nuits très complètes. La médecine a souvent ignoré le ressenti des patient·es pour se concentrer sur les relevés scientifiques. Mes recherches se concentrent justement sur l’aspect plus subjectif, plus intuitif du sommeil. C’est un travail que le cinéma peut m’aider à faire. »
Rêver au cinéma
Forte d’un bagage médical, Michelle Carr se réjouit de se joindre à un laboratoire qui réunit principalement des spécialistes du cinéma : « Nos discussions, avec Santiago Hidalgo [directeur exécutif du Laboratoire CinéMédias], sont très stimulantes. Son expertise donne à voir une tout autre manière de parler de cinéma. J’ai déjà travaillé à partir de stimuli visuels, mais tous étaient conçus par des scientifiques qui ne connaissaient pas grand-chose au cinéma… On se contentait de dire : “Ceci est un stimulus positif, ceci est un stimulus négatif.” Santiago Hidalgo nous enseigne toutes les caractéristiques cinématographiques qui affectent notre expérience et il nous aide à repérer les stimuli réellement significatifs. »
À propos de la représentation des rêves dans les arts médiatiques, en particulier au cinéma, Michelle Carr observe les mêmes motifs récurrents : « C’est comme si un·e cinéaste avait suggéré de représenter les rêves d’une certaine manière, et qu’il ou elle avait inspiré tous·tes les autres. C’est très difficile de représenter en images ce qu’est réellement un rêve. Mais des films comme Inception, de Christopher Nolan, sont plutôt fidèles à la réalité ! Ils donnent une bonne idée de ce que peuvent être les rêves lucides, par exemple. »
C’est en vivant elle-même un rêve lucide que la chercheuse a décidé de s’y intéresser. Et elle n’est pas la seule à se tourner vers cet objet de recherche. Depuis ses débuts à l’Université de Rochester, à New York, où elle a commencé à étudier les sciences cognitives, Michelle Carr observe que la communauté scientifique porte une attention grandissante au sommeil et aux rêves : « La recherche sur le sommeil s’est démocratisée à partir des années 1970. C’est plutôt récent, mais il existe déjà des tonnes d’études qui mettent en évidence le lien entre la qualité du sommeil et des fonctions vitales comme la cognition, les émotions et la santé physique en général. La recherche sur les rêves est encore plus récente. » Elle explique que ce sont les cauchemars qui, les premiers, ont attiré l’attention des chercheur·euses, rappelant qu’ils sont parmi les symptômes principaux d’un trouble du stress post-traumatique : « Certaines personnes dépendantes, par exemple, rêvent parfois de consommer de la drogue. Si on parvient à réduire ces cauchemars, on peut peut-être accélérer leur guérison. » Elle évoque même l’idée de développer une application mobile pour générer des stimuli particuliers qui faciliteraient l’endormissement.
En attendant cette application miraculeuse, on a demandé quelques recommandations à Michelle Carr pour mieux dormir. Si elle n’a pas encore toutes les réponses, qui viendront sûrement avec la progression de ses travaux au sein de cinEXmedia, la chercheuse recommande de visionner « un film contemplatif et très lent : un seul angle de vue, une seule action en temps réel. Quelque chose d’assez peu stimulant, en fait. »