Conférence : Laurent Guido retrace l’évolution du « corps-spectacle » à l’écran

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Le cher­cheur membre de cinEXmedia a ana­ly­sé l’évolution des dis­po­si­tifs audio­vi­suels de cap­ta­tion de mou­ve­ments, des pre­miers temps du ciné­ma à l’ère de l’intelligence arti­fi­cielle, lors d’une confé­rence à l’Université de Montréal.

Pho­to : Félix Cara­bal­lo | Laurent Gui­do, lors de sa confé­rence à l'Université de Mont­réal en avril 2025

Pro­fes­seur à l’Université Sor­bonne Nou­velle, Laurent Gui­do était l’invité des Grandes confé­rences de la Chaire de recherche du Cana­da en études ciné­ma­to­gra­phiques et média­tiques, le 1er avril der­nier. Sa pré­sen­ta­tion, inti­tu­lée « Fan­tas­ma­go­ries auto­ma­tiques : entre scènes et écrans, cap­ter le rythme entraî­nant du corps-spec­tacle », por­tait sur l’évolution des dis­po­si­tifs audio­vi­suels de cap­ta­tion de spec­tacles et de mou­ve­ments cor­po­rels, des débuts du ciné­ma aux pre­mières appli­ca­tions de l’intelligence artificielle.

His­to­rien du sep­tième art et spé­cia­liste des liens entre film, cor­po­réi­té et musique ain­si que des théo­ries du spec­ta­cu­laire dans les médias, Laurent Gui­do est l’auteur de plu­sieurs ouvrages, dont L’Âge du rythme (2007), De Wag­ner au ciné­ma (2019) et Ciné­ma, mythe et idéo­lo­gie (2020). C’est d’ailleurs en rai­son de son inté­rêt pour le rythme et le ciné­ma d’attraction, entre autres, qu’il est deve­nu membre de cinEXmedia dès la fon­da­tion du partenariat.

Le cher­cheur a amor­cé sa confé­rence en évo­quant les tech­no­lo­gies les plus récentes, comme les sys­tèmes de sui­vi auto­ma­ti­sé par camé­ras uti­li­sés dans les matchs spor­tifs ou les pro­cé­dés de mon­tage mul­ti­ca­mé­ra auto­ma­ti­sé pour les cap­ta­tions de spec­tacles. Son objec­tif : inter­ro­ger les rai­sons du déve­lop­pe­ment de ces dis­po­si­tifs ain­si que les enjeux sociaux et esthé­tiques qu’ils sou­lèvent, en les met­tant en pers­pec­tive grâce à un rap­pro­che­ment avec l’émergence de la chro­no­pho­to­gra­phie et du cinématographe.

« Infor­ma­tique théâtrale »

Tout au long de sa pré­sen­ta­tion, le pro­fes­seur a mis en rela­tion les avan­cées tech­niques des deux époques avec les réac­tions qu’elles ont sus­ci­tées chez les artistes et les théoricien·nes. Les textes de l’italien Ric­ciot­to Canu­do (1877-1923), pion­nier des études ciné­ma­to­gra­phiques modernes, ont ser­vi de fil rouge à sa réflexion.

Dans La Nais­sance d’un sixième art. Essai sur le ciné­ma­to­graphe (1911), Canu­do voit dans le ciné­ma « la grande conci­lia­tion non seule­ment entre la science et l’art, mais entre les rythmes du temps et les rythmes de l’espace ». Selon Laurent Gui­do, cette for­mule « ren­ferme l’essence de toutes les ques­tions essen­tielles qui nous concernent encore aujourd’hui ».

Pho­to : Thi­bault Bec­quaert | Laurent Gui­do, lors de sa confé­rence à l'Université de Mont­réal en avril 2025

Les pro­pos de Canu­do trouvent désor­mais leur écho dans les tra­vaux récents du cher­cheur fran­çais Rémi Ron­fard sur l’« infor­ma­tique théâ­trale », un champ émergent qui étu­die com­ment les tech­no­lo­gies peuvent accom­pa­gner la concep­tion, la pro­duc­tion ou la dif­fu­sion de spec­tacles scé­niques. Selon Laurent Gui­do, l’émergence du ciné­ma au tour­nant du XXe siècle et celle de ces nou­veaux outils s’inscrivent dans une même dyna­mique : elles sur­viennent à un moment où la tech­nique « répond aux pré­oc­cu­pa­tions de [son] époque » par le recours à « des dis­po­si­tifs per­met­tant de révé­ler la forme des mouvements ».

Ain­si, dans les années 1910, les images ani­mées étaient mobi­li­sées en méde­cine pour mieux com­prendre les mou­ve­ments cor­po­rels, par exemple. De nos jours, l’intelligence arti­fi­cielle est notam­ment uti­li­sée pour réduire les coûts de pro­duc­tion des spec­tacles ou pour les rendre « plus dyna­miques », pré­cise le chercheur.

Entre inquié­tudes et pro­messes technologiques

Si la pre­mière moi­tié de la confé­rence de Laurent Gui­do a mis en lumière les cor­res­pon­dances entre ces deux moments his­to­riques, la seconde a mis au jour les inquié­tudes que les tech­no­lo­gies de cap­ta­tion de spec­tacles et de mou­ve­ments cor­po­rels ont sus­ci­tées, hier comme aujourd’hui.

« La ten­sion per­ma­nente entre corps réel et corps vir­tuel est l’un des modes de dis­cours récur­rents des débats autour de la média­tion tech­nique des spec­tacles scé­niques, de l’époque d’Edison jusqu’à la nôtre, a rap­pe­lé le cher­cheur. La simu­la­tion tech­nique des prouesses cor­po­relles ryth­mées n’a ces­sé d’alimenter les dis­cus­sions autour des mérites et des dan­gers inhé­rents à la dif­fu­sion sous une forme imma­té­rielle des per­for­mances théâtrales. »

À l’ère du numé­rique, on assiste à des concerts à dis­tance ou même en co-pré­sence, les spec­tacles pou­vant réunir en temps réel des artistes et des audi­toires situés à dif­fé­rents endroits du globe. Si ces dis­po­si­tifs ouvrent des pers­pec­tives inédites, ils sou­lèvent aus­si de nom­breuses pré­oc­cu­pa­tions, notam­ment d’ordre envi­ron­ne­men­tal, puisque les ser­veurs qui ali­mentent les sys­tèmes d’intelligence arti­fi­cielle sont par­ti­cu­liè­re­ment énergivores.

Laurent Gui­do a tou­te­fois conclu sa confé­rence sur un ton opti­miste, en insis­tant sur le « poten­tiel révo­lu­tion­naire » de ces outils, à condi­tion qu’ils soient mis au ser­vice du même « génie créa­tif humain » – repre­nant à nou­veau une for­mule de Canu­do – grâce auquel le ciné­ma a pu deve­nir une forme d’art à part entière.