Commissaire : Katia Andrea Morales Gaitán
Dans le cadre du cycle Au-delà des frontières, le partenariat cinEXmedia et la galerie Espacio México de l’Institut culturel du Mexique à Montréal déploient la programmation Traversées Sud-Est. Cinéma et droit à l’autoreprésentation au Mexique. Au cœur des histoires intimes et émouvantes mises en images par des réalisateurs tsotsils et acapulquéniens, la mémoire, la famille et la spiritualité se mêlent pour révéler l’essence de leur identité et la richesse culturelle du Mexique.
Cet événement permettra de présenter deux longs métrages du collectif Terra Nostra, originaire de Los Altos, dans le Chiapas, au Mexique. Ces films, empreints d’une profonde authenticité, incarnent une nouvelle ère pour le droit à l’autoreprésentation, à l’accès à la culture et à la production artistique au sein des Tsotsils. Le public est également invité à découvrir une sélection de vidéos expérimentales et de courts métrages du collectif Demina Laboratorio de Artes qui nous emmène dans l’atmosphère d’Acapulco, une ville balnéaire mexicaine autrefois glamour qui fait aujourd’hui face à des réalités socio-économiques difficiles et à un climat de violence l’éloignant de la quiétude qu’elle connaissait jusqu’ici.
Les Tsotsils, héritiers des connaissances mayas
Entre les rituels de musique et de danse, entre les travaux de semis de maïs et la culture des fleurs, les Tsotsils vivent en communauté, perpétuant leur langue et leur culture. Marquée par des siècles d’exclusion et de lutte pour préserver ses cosmogonies et ses savoirs face à la « colonialité du pouvoir » conceptualisée par Anibal Quijano (1990), la communauté tsotsil, forte de plus de 417 462 locuteurs, résiste avec ténacité à l’oubli prescrit par le gouvernement mexicain, incarnant ainsi une lutte contre le « colonialisme interne » défini par Pablo González Casanova (2003). Celui-ci se traduit par l’approche nationaliste de l’État mexicain et par l’effacement des expressions des cultures autochtones et locales, visant à imposer une vision sociale, politique et culturelle homogénéisée qui reproduit les effets du colonialisme espagnol et du néolibéralisme. S’opposant à ces velléités, le peuple tsotsil a instauré une gouvernance selon les coutumes ancestrales et a joué un rôle crucial dans les mouvements zapatistes des années 1990. Le collectif Terra Nostra, composé de jeunes cinéastes tsotsils, utilise la caméra comme outil d’exploration de leur identité autochtone. Ils revendiquent leur héritage culturel tout en remettant en question le patriarcat, les nouvelles masculinités et le désir de renouer avec les ancêtres, les rêves et l’équilibre entre la Terre mère et les êtres vivants.
Les Tsotsils considèrent le cinéma comme un média indispensable pour maintenir leur existence
Le cinéma est le média qui permet aux Tsotsils d’exercer leur droit à l’autoreprésentation selon leur propre regard, sans stéréotypes (Reza 2013). Ils y inscrivent leur tradition orale, immortalisée par la vidéo. « Ce n’est pas une photo où nous sommes figés ; dans la vidéo, la façon dont nous parlons est filmée », explique Hilda Rodríguez Méndez, protagoniste de Maman (2022). Le réalisateur du film, Xun Sero, est également un activiste pour les droits de son peuple. Il considère qu’il n’y a pas encore assez de voix qui contribuent à représenter son ethnie. Avec son premier long métrage, il cherche à guérir ses blessures d’enfance et à apaiser sa relation avec sa mère. Il comprend ainsi davantage pourquoi Hilda, sa mère, n’a pas pu être aussi présente lorsqu’il était enfant ; il la voit maintenant comme une femme forte et pleine de vie. Xun Sero cherche sa mère parmi les étals des vendeuses d’artisanat, parmi les jeunes femmes qui travaillent dans le centre de San Cristóbal de las Casas. Cependant, c’est finalement chez elle qu’il la trouve, se mettant à l’écoute de son récit intime sur les « problemas de amor », un concept qui ne s’exprime qu’en espagnol.
Juan Javier Pérez, réalisateur de Vaychiletik (2022), dédie de son côté son film aux gardiens des cultures autochtones. Depuis la ville de Zinacantán, il observe le processus de vieillissement de son père. Les dieux ont accordé à celui-ci le don de rêver, d’avoir des visions – mais les rêves ne doivent pas être révélés, il faut simplement les accepter. José est musicien la nuit et horticulteur le jour. La musique traditionnelle de Zinacantán, de Balté, de San Lorenzo et de Santa Cruz se mêle à la tequila et au pox. Souvent, la lune surprend l’homme à la fin des fêtes auxquelles il participe dans sa communauté. La vieillesse est arrivée et il doit répondre aux exigences de son corps, de sa femme ; il ne veut cependant pas renoncer à son mode de vie. Les fleurs que José sème constituent, pour leur part, des offrandes pour les rituels, les plus syncrétiques comme ceux qui se sont maintenus au fil des siècles. Les fleurs sont brodées par Elvia, la mère. Ce film montre comment les cérémonies, les offrandes et le lien avec la terre ont été préservés depuis l’ancienne Mésoamérique. Ces savoirs assurent l’équilibre des habitants de la région et les connectent à leur essence humaine.
Acapulco, de station balnéaire glamour à pôle de création artistique
Le collectif Demina Laboratorio de Artes, sous la direction de Jeanette Rojas Dib, met à disposition des artistes un éventail d’outils et de ressources pour les soutenir dans leur parcours créatif. Ce lieu, loin d’être une simple galerie, favorise la collaboration et la création, insufflant une nouvelle vie à la scène artistique locale. Des résidences d’artistes permettent aux participants de s’immerger pleinement dans leur processus créatif, tandis que des projections et divers projets artistiques viennent compléter ce riche programme. Le laboratoire Demina offre ainsi un terreau fertile pour la créativité, nourrissant un dialogue permanent entre les artistes et la communauté.
Comme le soulignent Javier Reyes-Martínez et Carlos Andrade-Guzmán (2020), Acapulco a connu une recrudescence de la précarité et de la violence à partir de 2015. Cette situation a affecté les artistes, confrontés à des conditions de travail difficiles, à des violations des droits humains et à des problèmes de sécurité. Qui plus est, en 2023 le passage de l’ouragan Otis a causé des dégâts considérables, détruisant de nombreuses œuvres d’art et des installations culturelles. En dépit de cette épreuve, les artistes d’Acapulco ont fait preuve d’un courage et d’une résilience remarquables, poursuivant leur travail artistique avec persévérance.
Dans le cadre de cet effort de revalorisation artistique, le programme inclut six courts métrages expérimentaux explorant les problématiques locales de l’après-pandémie. Chaque court métrage reflète les aspirations, les expérimentations artistiques et les imaginaires propres à ses auteurs. Ces œuvres ont été présentées dans divers festivals nationaux et internationaux, explorant une diversité de formes telles que la vidéo-danse et le film pour enfants, abordant aussi la représentation des femmes autochtones et leur combat pour l’égalité et contre la violence (Valencia 2014 ; Torres San Martín 2012).
Notre programmation vise à créer un pont entre le Québec et le Mexique, favorisant l’échange d’idées, de perspectives et de pratiques artistiques. L’objectif est d’enrichir la compréhension mutuelle de nos cultures et célébrer la diversité des talents qui nous entourent.
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