Portrait : le cinéma d’animation de Marie-Josée Saint-Pierre, pour une représentation positive du désir féminin

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Son pro­chain court-métrage por­te­ra sur la repré­sen­ta­tion des corps des femmes et de leurs sexua­li­tés, d’un point de vue fémi­niste, tout en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. 

Marie-Josée Saint-Pierre | Pho­to : Fio­na Matthews

La cinéaste Marie-Josée Saint-Pierre est aus­si pro­fes­seure adjointe à l’Université Laval depuis bien­tôt quatre ans. Pour la pre­mière fois, elle s’est alliée avec son col­lègue Fran­çois Giard et un groupe d’étudiantes afin de réa­li­ser un court-métrage. Leur pro­jet, sou­te­nu par cinEXmedia et le Fonds de recherche du Qué­bec - Socié­té et culture, s’articule autour des dési­rs sexuels des femmes et s’inspire de la por­no­gra­phie fémi­niste (pro-sexe).

« La por­no­gra­phie est peut-être le sujet le plus pola­ri­sant pour les fémi­nistes », explique la réa­li­sa­trice. Tan­dis que cer­taines sou­hai­te­raient la voir dis­pa­raître, d’autres veulent l’utiliser afin de repré­sen­ter dif­fé­rentes facettes du désir fémi­nin. « Au Qué­bec, il y a tou­jours eu de la répres­sion et du tabou autour du plai­sir sexuel, notam­ment fémi­nin, en grande par­tie en rai­son de la place de la reli­gion catho­lique », rap­pelle la cinéaste. Elle espère, avec son film, décom­plexer et dépo­la­ri­ser les dis­cours sur le sujet.

Qui plus est, le ciné­ma d’animation s’impose comme un outil par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace à cet égard, en rai­son de sa popu­la­ri­té auprès des jeunes publics. Membre de cinEXmedia, Marie-Josée Saint-Pierre sou­ligne ain­si l’importance de l’étudier – et, en l’occurrence, de le pro­duire – en contexte uni­ver­si­taire : « L’animation, dans les uni­ver­si­tés et dans les milieux scien­ti­fiques, […] est une dis­ci­pline lar­ge­ment mécon­nue, voire mépri­sée. Sou­vent asso­ciée aux jeunes publics, elle tombe en bas de la hié­rar­chie des arts. »

Les défis de l’intelligence artificielle

La cinéaste sou­haite éga­le­ment inté­grer à son court-métrage, qui est pré­sen­te­ment en phase de pré­pro­duc­tion, des images géné­rées à l’aide de l’intelligence arti­fi­cielle (IA) qui seront éven­tuel­le­ment ani­mées. Cela confère au film une dimen­sion poli­tique et édu­ca­tive, dit-elle, puisque l’IA va « pro­fon­dé­ment chan­ger la socié­té ». C’est aus­si pour­quoi elle veut l’intégrer à ce pro­jet, réa­li­sé en contexte uni­ver­si­taire. Elle croit ain­si pou­voir mieux pré­pa­rer les étudiant·es aux futures réa­li­tés du mar­ché du travail.

Une telle uti­li­sa­tion de l’IA com­porte tou­te­fois son lot de défis. La réa­li­sa­trice sou­ligne d’emblée que, avec la plu­part des moteurs de recherche, il est dif­fi­cile de géné­rer des images à l’aide de mots-clés comme « sexe » ou « vulve ». Elle doit alors trou­ver des solu­tions créa­tives pour contour­ner cette censure.

Image géné­rée par l'étudiante Mil­la Cum­mings via Leonardo.IA

Pré­ci­sons que son film, des­ti­né aux publics de 12 ans et plus, se veut sur­tout « expé­rien­tiel », c’est-à-dire qu’il vise avant tout l’éducation des spec­ta­teurs. Il ne s’agit donc pas d’y repré­sen­ter des images crues pour exci­ter le public. Au contraire, « l’objectif de l’animation est de pou­voir prendre une idée et de l’illustrer avec une image, une méta­phore, une méta­mor­phose, dit-elle. Chaque per­sonne qui va voir le film com­pren­dra quelque chose de dif­fé­rent. Les jeunes inter­pré­te­ront d’autres choses que les adultes qui ont plus d’expérience. »

Mili­tan­tisme de longue date

Marie-Josée Saint-Pierre est une rela­ti­ve­ment jeune pro­fes­seure. Elle compte tou­te­fois de nom­breuses années d’expérience en ciné­ma d’animation, ayant réa­li­sé neuf courts-métrages. Elle a aus­si fon­dé la com­pa­gnie de pro­duc­tion MJSTP Films spé­cia­li­sée en ani­ma­tion docu­men­taire, et a reçu plu­sieurs prix, tels que deux Jutra (aujourd’hui Iris) du meilleur court ou moyen-métrage d’animation, pour Les néga­tifs de McLa­ren (2006) et Jutra (2014). 

La phase de pro­duc­tion de son pro­chain film devrait débu­ter cet été. « Je vais mili­ter comme je peux », résume-t-elle, sou­li­gnant le carac­tère poli­tique de sa démarche. « Pour moi, c’est très impor­tant à par­tir de main­te­nant de faire uni­que­ment des films à thé­ma­tiques fémi­nistes, parce que lorsqu’on est une femme et qu’on fait des films, on accède à un pri­vi­lège, celui de prendre la parole. »

Confron­tée aux inéga­li­tés et au manque de repré­sen­ta­tions ciné­ma­to­gra­phiques du plai­sir sexuel fémi­nin, Marie-Josée Saint-Pierre voit main­te­nant dans cette prise de parole un aspect for­cé­ment fémi­niste : « Je pense qu’une femme devient fémi­niste dès qu’elle est consciente des rap­ports de domi­na­tion, du fait qu’elle n’a pas l’égalité. »

La cinéaste s’applique donc à mettre en place une « métho­do­lo­gie fémi­niste », qui lui per­met à la fois de faire entendre sa voix et de don­ner la parole à plu­sieurs femmes. Son pro­jet de recherche-créa­tion lui paraît d’autant plus pri­mor­dial qu’il vise une « repré­sen­ta­tion posi­tive de la sexua­li­té des femmes et de leur jouissance ».