L’artiste-chercheuse multidisciplinaire Erin Gee s’intéresse avec cinEXmedia aux composantes artistiques et performatives de ces disciplines méconnues, ainsi qu’à leurs effets sur le public.
Sophie Leclair-Tremblay

Nouvellement membre du partenariat cinEXmedia et professeure adjointe à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, Erin Gee conjugue dans sa pratique musicale électro-acoustique ses expertises en biofeedback émotionnel et en ASMR (autonomous sensory meridian response, ou réponse autonome sensorielle méridienne) afin d’éveiller les sens et les réactions du public. Ses travaux de recherche portent sur les impacts affectifs et physiologiques de l’ASMR, un champ de recherche peu exploré qu’elle aborde comme une véritable discipline scientifique, technique et sociale.
L’artiste-chercheuse se décrit aujourd’hui comme une « experte DIY » (Do it yourself) de la musique biofeedback, une discipline émergente proche de l’ASMR. Celle-ci consiste à utiliser en temps réel les signaux physiologiques d’une personne (rythme cardiaque, respiration, activité du cerveau) comme matériau sonore ou comme source de modulation musicale. Elle a ainsi développé une grande maîtrise des instruments de mesure, qu’elle adapte selon les participant·es. « Si une partie du public n’est pas à l’aise de tenir quelque chose dans ses mains pendant une expérience, on peut par exemple concevoir un dispositif qui contourne cette contrainte », explique-t-elle.
Toujours à la recherche de nouvelles manières d’intégrer l’ASMR à différentes formes d’art, elle a accepté, à l’invitation du directeur du partenariat cinEXmedia Santiago Hidaglo, de se joindre au partenariat. Elle souhaite ainsi, croiser ses recherches « sur l’aspect performatif et sonore de l’ASMR avec le champ de l’image », dit-elle. Erin Gee envisage des expérimentations destinées à différentes générations de publics, afin d’explorer la perception de l’ASMR à travers le son et l’image de même que la possible dissociation entre les émotions perçues par l’esprit et celles exprimées par le corps.
Tout juste récipiendaire d’une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le projet s’intéressera notamment aux réactions physiologiques et psychologiques de participant·es lors de leur exposition à des vidéos et à des techniques d’ASMR. « Lorsque j’effectue des recherches sur l’historique de la musique biofeedback, je constate que le fonctionnement des outils technologiques est à l’avant-plan des préoccupations des chercheur·ses, ajoute Erin Gee. Cela doit être pris en compte dans nos travaux. »
L’artiste-chercheuse s’est justement intéressée à la question des effets des instruments numériques dans un article intitulé « The BioSynth—an affective biofeedback device grounded in feminist thought », paru en 2023 sur le site de la International Conference on New Interfaces for Musical Expression, où elle a remporté le prix du meilleur article. « Je suis une très jeune professeure, alors la plupart de mes projets récents demeurent des œuvres artistiques, mais ce texte a marqué ma première contribution majeure à la littérature évaluée par des pairs », souligne-t-elle. Des extraits de ses performances musicales sont accessibles sur sa page Instagram.
Une expérience intime
Spécialiste de la lutherie numérique et des systèmes interactifs, Erin Gee développe des dispositifs où le son active l’ensemble du corps humain. Les basses fréquences, par exemple, ne sont pas seulement entendues : elles se ressentent physiquement, comme une onde de pression qui frappe la peau. Pour la chercheuse, ce phénomène correspond à un « toucher à distance », où l’oreille et la peau deviennent indissociables dans l’expérience sonore. « Les sons nous touchent littéralement, dit-elle. Ce sont des ondes de pression qui se déplacent dans l’air et, selon leur fréquence, on peut ressentir ce contact comme une présence physique. »
C’est dans cette logique qu’elle aborde l’ASMR, non pas comme une pratique amatrice, mais comme un terrain d’expérimentation rigoureux à la croisée des arts et des sciences. L’ASMR joue sur l’intime : chuchotements, frottements ou craquements déclenchent chez l’auditeur·rice frissons, détente ou picotements. Ces effets varient d’une personne à l’autre et ils révèlent parfois un décalage entre ce que l’esprit croit ressentir et ce que le corps manifeste. Pour Erin Gee, l’ASMR devient ainsi un outil précieux pour analyser la relation complexe entre perception, mémoire corporelle et émotion.
Au-delà de ses dimensions physiologiques, l’ASMR met également en jeu une proximité sociale : écouter ces sons, c’est accepter qu’une voix ou un geste nous atteigne directement, comme si quelqu’un chuchotait à notre oreille. La chercheuse y voit « un moyen d’explorer les liens entre art, intimité et thérapie, en étudiant comment ces stimulations peuvent générer détente, bien-être et réconfort ».