Le chercheur, qui étudie les troubles du sommeil et les rêves, s’intéresse désormais au cinéma, non seulement en tant que manifestation parfois inconsciente de nos rêves, mais aussi comme un langage qui peut nous permettre de mieux les comprendre.
Sophie Leclair-Tremblay
Pourquoi et comment nous souvenons-nous de nos rêves ? Comment le contenu des rêves est-il relié à la vie éveillée ? Pourquoi rêve-t-on ? Telles sont les questions qui animent les travaux de recherche du professeur titulaire en psychologie et directeur du Laboratoire de recherche sur les rêves à l’Université de Montréal, Antonio Zadra. Le chercheur s'intéresse aux rêves depuis ses années au cégep, un intérêt qui l'a conduit à étudier non seulement différents types de rêves, tels que les rêves lucides et les cauchemars, mais également des troubles du sommeil connexe, notamment le somnambulisme et les terreurs nocturnes.
Plus récemment, il se tourne vers le cinéma, tandis qu’il mène, avec Santiago Hidalgo, directeur du partenariat cinEXmedia, un vaste projet comportant trois volets.
Les deux professeurs s’intéressent dans un premier volet à la manière dont les chercheur·euses qui travaillent sur les rêves utilisent le langage cinématographique pour les décrire. Antonio Zadra explique par exemple qu’il y a des ellipses dans les rêves, puisqu’on ne se souvient pas de toutes les images qui les composent. « On peut avoir rêvé une dizaine de minutes et avoir l’impression qu’on a vécu un récit qui s’est étiré sur plusieurs mois », dit-il. Le cinéma accomplit la même chose. Ainsi, tant le cinéma que les rêves sont des produits de l’imagination ou « des récits que l’on se crée et qui peuvent revêtir des formes inusitées », poursuit le chercheur.
Le deuxième volet de leur projet consiste en l’analyse des impacts des différents médias que nous consommons avant de nous endormir sur le sommeil et les rêves. Les chercheurs recueillent des données sur les appareils (téléphones cellulaires, ordinateurs portables, téléviseurs, etc.) que nous utilisons, sur les raisons de cette utilisation (par exemple pour consulter les réseaux sociaux, jouer à des jeux vidéo ou regarder des films) et sur le contexte dans lequel nous utilisons ces appareils, notamment si nous regardons nos écrans directement depuis notre lit. L’étude menée par Antonio Zandra et Santiago Hidalgo vise par ailleurs à nuancer les conclusions de recherches antérieures sur le sujet, en reconnaissant que l’utilisation des écrans avant le sommeil peut aussi avoir des effets positifs selon le type de contenu consommé. Ces effets restent cependant à déterminer.
Le troisième et dernier volet de leur projet consiste en la présentation de deux types de films très différents l’un de l’autre en termes de thématiques, de rythmes, de dialogues et de prises de vue à des participant·es, afin d’évaluer les impacts différentiels de ces visionnements sur les rêves. Alors que beaucoup de gens rapportent que leurs rêves sont influencés par les films qu’ils visionnent, les deux chercheurs tentent de comprendre quelles sont les dimensions du cinéma ayant un impact sur le contenu des rêves, en questionnant la raison et la manière dont cette influence se produit d’une personne à l’autre. Ils se penchent, entre autres choses, sur l’interaction qui s’effectue avec la personnalité des individus et leurs habitudes de vie. « Sommes-nous engagé·es par les personnages, par l’histoire, par les émotions vécues ? », se demande le professeur Zadra. « Parfois, les gens ressentent la même émotion dans leur rêve que celle ressentie en regardant un film ou encore rêvent à l’un des personnages, mais c’est seulement cette partie qui est extraite du film en question. »
Parasomnies
Antonio Zadra se spécialise généralement dans les recherches sur les parasomnies, des expériences ou des comportements incontrôlables et non désirés qui ont lieu au cours du sommeil. Ce qui l’intéresse le plus, c’est d’acquérir une meilleure compréhension de ce qui se passe dans le cerveau lors de la génération des parasomnies, afin de les évaluer cliniquement et de trouver des traitements efficaces. Il souhaite également observer l’impact que ces troubles peuvent avoir sur le sommeil en général et le bien-être.
Profondément marqué par un rêve lucide – un rêve pendant lequel on est conscient·e d’être en train de rêver – qu’il a fait lorsqu’il était au cégep, Antonio Zadra s’est mis à lire sur le sommeil et sur les recherches sur les rêves qui se faisaient en laboratoire. Il s’est ensuite intéressé à la captation de l’activité électrique du cerveau pendant le sommeil de même qu’aux troubles du sommeil reliés à l’onirisme et plus particulièrement au somnambulisme et aux terreurs nocturnes. Ses intérêts se sont par la suite étendus aux cauchemars, aux rêves lucides, aux rêves récurrents, aux rêves des enfants et plus encore. Il a depuis longtemps un grand intérêt envers les éléments qui influencent les rêves, dont les œuvres artistiques, ainsi qu’envers la manière dont les rêves sont présentés dans les œuvres littéraires ou cinématographiques.
« Tout cela me passionne : savoir comment les rêves et la conception que les gens s’en font viennent influencer leur vision artistique. Les rêves nous amènent à créer des lieux, des personnages et des univers fantastiques », conclut le chercheur.