Portrait : Anna Kolesnikov, au croisement des neurosciences et des études cinématographiques

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Après avoir obte­nu un doc­to­rat en études ciné­ma­to­gra­phiques et com­plé­té un post­doc­to­rat en ciné­ma et neu­ros­ciences à l’Università di Par­ma, en Ita­lie, elle a joint le Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias à titre de cher­cheuse postdoctorale.

Anna Koles­ni­kov à l'émission Décou­verte de Radio-Canada

À l’intersection des neu­ros­ciences et des études ciné­ma­to­gra­phiques, les recherches d’Anna Koles­ni­kov se sont prin­ci­pa­le­ment inté­res­sées jusqu’ici à « la cog­ni­tion cor­po­relle dans l’expérience audio­vi­suelle, à la théo­rie du mon­tage sovié­tique ou encore à la per­cep­tion du mou­ve­ment et de la musique », explique-t-elle.

Le jume­lage de ces deux dis­ci­plines est intrin­sè­que­ment lié au par­cours de la cher­cheuse depuis sa maî­trise au sein du pro­gramme I/MA/C/S de l’Université Sor­bonne Nou­velle (Paris 3), dont l’Université de Mont­réal fait éga­le­ment par­tie. « Je fai­sais quelque chose d’un peu étrange à l’époque, c’est-à-dire que j’avais une for­ma­tion en neu­ros­ciences et en sciences cog­ni­tives, mais que je vou­lais me diri­ger vers des approches basées sur les sciences humaines », raconte-t-elle. Cette tran­si­tion allait se faire par les études ciné­ma­to­gra­phiques, et plus par­ti­cu­liè­re­ment par l’étude de la théo­rie et de la pra­tique du cinéaste russe Ser­gueï Eisen­stein, tou­jours à tra­vers le prisme des sciences cognitives.

Ce sujet d’étude l’a menée vers le Lab of Social Cog­ni­tive Neu­ros­cience diri­gé par le pro­fes­seur Vit­to­rio Gal­lese, à l’Università di Par­ma, en Ita­lie, où elle a effec­tué un doc­to­rat en sciences phi­lo­lo­giques-lit­té­raires, his­to­riques-phi­lo­so­phiques et artis­tiques entre 2017 et 2021. Dans le cadre de sa thèse, elle a col­la­bo­ré avec un cinéaste et un com­po­si­teur afin de créer de courts films s’inspirant du film Quand passent les cigognes (1957), de Mikhaïl Kala­to­zov, puis elle a mesu­ré les réponses cog­ni­tives des spectateur·rices face à ces films à l’aide du modèle des « gestes audio­vi­suels » déve­lop­pé par Eisenstein.

Son objec­tif était de mener un pro­jet alliant les neu­ros­ciences et les études ciné­ma­to­gra­phiques selon une approche « neu­ro-huma­niste », c’est-à-dire en uti­li­sant « les deux dis­ci­plines de manière éga­li­taire plu­tôt que réduc­tion­niste, ce qui implique d’utiliser les méthodes des sciences humaines plu­tôt que d’utiliser sim­ple­ment les arts ou les films comme sti­mu­li ». Ce pro­jet non-ortho­doxe lui a per­mis de déve­lop­per simul­ta­né­ment ses com­pé­tences dans les deux disciplines.

Entre conti­nui­té et chan­ge­ment au Labo­ra­toire CinéMédias

Après sa recherche post­doc­to­rale à l’Università di Par­ma, elle a emmé­na­gé à Mont­réal. C’est à ce moment-là qu’elle s’est jointe au Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias, une étape déci­sive dans le par­cours de la cher­cheuse : « En dehors de Parme et de Mont­réal, il n’y a pas beau­coup de groupes de recherche qui déve­loppent cette approche du neu­ro-ciné­ma d’une manière véri­ta­ble­ment inter­sec­to­rielle. Pour moi, c’était l’occasion de faire de la recherche sur le neu­ro-ciné­ma, mais d’un autre point de vue, en trou­vant des liens entre le mon­tage et le cer­veau. Cela me per­met de reve­nir aux cadres théo­riques après avoir fait du tra­vail empi­rique, ce que je trouve tout aus­si gra­ti­fiant et impor­tant dans l’équation. »

Anna Koles­ni­kov est main­te­nant impli­quée dans le déve­lop­pe­ment de plu­sieurs pro­jets au sein du labo­ra­toire. Ceux-ci mobi­lisent ses com­pé­tences inter­sec­to­rielles en ciné­ma et en neu­ros­ciences, tout en lui fai­sant explo­rer un nou­vel objet de recherche : l’intelligence artificielle.

L’un de ces pro­jets consiste en la tenue d’un col­loque et en l’organisation d’autres évé­ne­ments impli­quant le grand public ou encore des élèves de cégeps sur la manière dont les expé­ri­men­ta­tions sur le mon­tage dans les années 1920 peuvent contri­buer aux recherches actuelles en neu­ro-ciné­ma et en intel­li­gence arti­fi­cielle. Un autre aura pour objec­tif « d’entamer, en col­la­bo­ra­tion avec des acteur·rices du milieu tech­no­so­cial, un pro­ces­sus d’exploration pra­tique du mon­tage des films par IA géné­ra­tive », dit-elle.

Bien que l’introduction de l’intelligence arti­fi­cielle repré­sente un aspect « radi­ca­le­ment dif­fé­rent » dans sa recherche, la cher­cheuse peut comp­ter sur une for­ma­tion métho­do­lo­gique rigou­reuse, acquise tout au long de son par­cours, pour mener à bien son entre­prise : « Mon expé­rience à Parme m’aide dans ce que nous fai­sons actuel­le­ment au labo­ra­toire. Elle me per­met notam­ment de com­prendre com­ment conver­tir les cadres théo­riques en para­digmes expé­ri­men­taux. À Parme, j’ai sui­vi les deux étapes : j’ai d’abord éla­bo­ré l’approche théo­rique, puis j’ai réa­li­sé l’approche empi­rique. Nous devrons faire la même chose à Mont­réal, en com­men­çant par déve­lop­per le cadre théo­rique, car l’intelligence arti­fi­cielle est très récente. »

« Cette approche inter­dis­ci­pli­naire com­prend son lot de défis, mais elle finit par por­ter fruits si l’on y consacre assez de temps », sou­ligne la cher­cheuse. Anna Koles­ni­kov insiste aus­si sur l’importance de déve­lop­per des pro­jets de recherche dans des envi­ron­ne­ments pro­pices, en plus de les ins­crire dans la durée : « Ce qui est vrai­ment bien, c’est de pou­voir faire ce genre de tra­vail dans un endroit où il est appré­cié, où ce type d’approche inter­sec­to­rielle n’est pas seule­ment consi­dé­ré comme mar­gi­nal, mais comme une vision pour l’avenir. C’est l’un des mérites du Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias et de tous ceux et de toutes celles qui y participent. »