Après avoir obtenu un doctorat en études cinématographiques et complété un postdoctorat en cinéma et neurosciences à l’Università di Parma, en Italie, elle a joint le Laboratoire CinéMédias à titre de chercheuse postdoctorale.
William Pedneault-Pouliot
À l’intersection des neurosciences et des études cinématographiques, les recherches d’Anna Kolesnikov se sont principalement intéressées jusqu’ici à « la cognition corporelle dans l’expérience audiovisuelle, à la théorie du montage soviétique ou encore à la perception du mouvement et de la musique », explique-t-elle.
Le jumelage de ces deux disciplines est intrinsèquement lié au parcours de la chercheuse depuis sa maîtrise au sein du programme I/MA/C/S de l’Université Sorbonne Nouvelle (Paris 3), dont l’Université de Montréal fait également partie. « Je faisais quelque chose d’un peu étrange à l’époque, c’est-à-dire que j’avais une formation en neurosciences et en sciences cognitives, mais que je voulais me diriger vers des approches basées sur les sciences humaines », raconte-t-elle. Cette transition allait se faire par les études cinématographiques, et plus particulièrement par l’étude de la théorie et de la pratique du cinéaste russe Sergueï Eisenstein, toujours à travers le prisme des sciences cognitives.
Ce sujet d’étude l’a menée vers le Lab of Social Cognitive Neuroscience dirigé par le professeur Vittorio Gallese, à l’Università di Parma, en Italie, où elle a effectué un doctorat en sciences philologiques-littéraires, historiques-philosophiques et artistiques entre 2017 et 2021. Dans le cadre de sa thèse, elle a collaboré avec un cinéaste et un compositeur afin de créer de courts films s’inspirant du film Quand passent les cigognes (1957), de Mikhaïl Kalatozov, puis elle a mesuré les réponses cognitives des spectateur·rices face à ces films à l’aide du modèle des « gestes audiovisuels » développé par Eisenstein.
Son objectif était de mener un projet alliant les neurosciences et les études cinématographiques selon une approche « neuro-humaniste », c’est-à-dire en utilisant « les deux disciplines de manière égalitaire plutôt que réductionniste, ce qui implique d’utiliser les méthodes des sciences humaines plutôt que d’utiliser simplement les arts ou les films comme stimuli ». Ce projet non-orthodoxe lui a permis de développer simultanément ses compétences dans les deux disciplines.
Entre continuité et changement au Laboratoire CinéMédias
Après sa recherche postdoctorale à l’Università di Parma, elle a emménagé à Montréal. C’est à ce moment-là qu’elle s’est jointe au Laboratoire CinéMédias, une étape décisive dans le parcours de la chercheuse : « En dehors de Parme et de Montréal, il n’y a pas beaucoup de groupes de recherche qui développent cette approche du neuro-cinéma d’une manière véritablement intersectorielle. Pour moi, c’était l’occasion de faire de la recherche sur le neuro-cinéma, mais d’un autre point de vue, en trouvant des liens entre le montage et le cerveau. Cela me permet de revenir aux cadres théoriques après avoir fait du travail empirique, ce que je trouve tout aussi gratifiant et important dans l’équation. »
Anna Kolesnikov est maintenant impliquée dans le développement de plusieurs projets au sein du laboratoire. Ceux-ci mobilisent ses compétences intersectorielles en cinéma et en neurosciences, tout en lui faisant explorer un nouvel objet de recherche : l’intelligence artificielle.
L’un de ces projets consiste en la tenue d’un colloque et en l’organisation d’autres événements impliquant le grand public ou encore des élèves de cégeps sur la manière dont les expérimentations sur le montage dans les années 1920 peuvent contribuer aux recherches actuelles en neuro-cinéma et en intelligence artificielle. Un autre aura pour objectif « d’entamer, en collaboration avec des acteur·rices du milieu technosocial, un processus d’exploration pratique du montage des films par IA générative », dit-elle.
Bien que l’introduction de l’intelligence artificielle représente un aspect « radicalement différent » dans sa recherche, la chercheuse peut compter sur une formation méthodologique rigoureuse, acquise tout au long de son parcours, pour mener à bien son entreprise : « Mon expérience à Parme m’aide dans ce que nous faisons actuellement au laboratoire. Elle me permet notamment de comprendre comment convertir les cadres théoriques en paradigmes expérimentaux. À Parme, j’ai suivi les deux étapes : j’ai d’abord élaboré l’approche théorique, puis j’ai réalisé l’approche empirique. Nous devrons faire la même chose à Montréal, en commençant par développer le cadre théorique, car l’intelligence artificielle est très récente. »
« Cette approche interdisciplinaire comprend son lot de défis, mais elle finit par porter fruits si l’on y consacre assez de temps », souligne la chercheuse. Anna Kolesnikov insiste aussi sur l’importance de développer des projets de recherche dans des environnements propices, en plus de les inscrire dans la durée : « Ce qui est vraiment bien, c’est de pouvoir faire ce genre de travail dans un endroit où il est apprécié, où ce type d’approche intersectorielle n’est pas seulement considéré comme marginal, mais comme une vision pour l’avenir. C’est l’un des mérites du Laboratoire CinéMédias et de tous ceux et de toutes celles qui y participent. »