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Nouvelles Vues #25 - Transferts culturels : Hollywood-Québec

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Dos­sier sous la direc­tion de Tho­mas Car­rier-Lafleur (Uni­ver­si­té de Mont­réal) et Bap­tiste Creps (Uni­ver­si­té de Montréal)

Dans son essai Le roman sans aven­ture (2015), Isa­belle Dau­nais relève une oppo­si­tion entre le rayon­ne­ment inter­na­tio­nal des arts du spec­tacle qué­bé­cois et celui, moindre, des arts de la pro­vince dits « majeurs » :

L’un des traits les plus frap­pants de la pro­duc­tion artis­tique qué­bé­coise, mais sur lequel, curieu­se­ment, per­sonne ne s’est jamais pen­ché, est la dis­tinc­tion très nette que connaissent dans leur rayon­ne­ment les arts « majeurs » que sont la lit­té­ra­ture, la pein­ture, la musique, l’architecture, la phi­lo­so­phie d’un côté, et, de l’autre, les arts du spec­tacle que sont la chan­son, le cirque, la scé­no­gra­phie. Alors que les pro­duc­tions des arts du spec­tacle cir­culent avec suc­cès sur toutes les scènes de la pla­nète et qu’elles sont recon­nues comme par­fai­te­ment en phase avec leur domaine (si elles n’en sont pas les modèles), les œuvres des arts majeurs ne sont pra­ti­que­ment d’aucune inci­dence, ne sont consi­dé­rées impor­tantes ou mar­quantes par per­sonne au sein de ce qu’on peut appe­ler avec Milan Kun­de­ra le « grand contexte » ou le contexte supra­na­tio­nal de ces arts1.

Ce constat, que d’aucuns pour­raient juger polé­mique, sou­ligne avec jus­tesse l’éclat moderne du monde du spec­tacle qué­bé­cois. Il encou­rage éga­le­ment à inter­ro­ger la vita­li­té et l’impact de l’un de ces arts dits « majeurs », d’abord au Qué­bec, mais aus­si et sur­tout à l’étranger, soit celui du ciné­ma qué­bé­cois contemporain.

Dans un article inti­tu­lé « Le “renou­veau” du ciné­ma qué­bé­cois » (2005), Chris­tian Poi­rier se prê­tait déjà à cet exer­cice et met­tait en exergue le carac­tère inédit du suc­cès inter­na­tio­nal cri­tique, public et aca­dé­mique du ciné­ma qué­bé­cois du début des années 2000 tel qu’incarné par des figures comme Denys Arcand, Charles Bina­mé, Louis Bélan­ger ou Jean-Fran­çois Pou­liot2. Dans un texte publié en 2010 aux Cahiers du ciné­ma, Jean-Pierre Sirois-Tra­han esti­mait quant à lui que, après des années de disette, le ciné­ma qué­bé­cois retrou­vait enfin l’estime inter­na­tio­nale qu’il avait per­due depuis près de qua­rante ans grâce à une nou­velle géné­ra­tion de cinéastes :

Avec le suc­cès de Xavier Dolan à Cannes et celui de Denis Côté à Locar­no, c’est toute une géné­ra­tion de cinéastes qui arrivent en pleine lumière. À ces fortes têtes, il faut ajou­ter Maxime Giroux, Sophie Deraspe, Myriam Ver­reault, Hen­ry Ber­na­det, Sté­phane Lafleur et Rafaël Ouel­let. Sur la scène inter­na­tio­nale où ils cumulent les prix, on n’avait pas vu pareille éclo­sion depuis la géné­ra­tion des années [19]60 (Claude Jutra, Gilles Groulx, Michel Brault, Jean Pierre Lefebvre et Gilles Carle, géné­ra­tion injus­te­ment relé­guée aux oubliettes des « ciné­mas natio­naux »)3.

En 2011, lors d’une table ronde réunis­sant des cri­tiques et des uni­ver­si­taires, on ten­ta alors de défi­nir la « nou­velle vague » de cinéastes dési­gnée par Sirois-Tra­han. Côté et Dolan furent à nou­veau men­tion­nés à titre de figure de proue aux côtés d’un troi­sième cinéaste, dont le style ciné­ma­to­gra­phique est pour­tant éloi­gné des leurs : « Cette répu­ta­tion gran­dis­sante de notre ciné­ma, si elle découle de la belle récep­tion qu’ont eue de nom­breuses œuvres, demeure pour l’instant fon­dée sur les suc­cès inédits de Xavier Dolan et de Denis Côté, aux­quels il faut désor­mais ajou­ter Denis Vil­le­neuve, cinéastes de trois géné­ra­tions dif­fé­rentes, aux méthodes et aux sen­si­bi­li­tés aus­si très dif­fé­rentes4. »

Aujourd’hui, il y a fort à parier qu’un exa­men, même rapide, de la situa­tion per­met­trait de confir­mer que les hypo­thèses de « renou­veau » ou de « Nou­velle Vague » du ciné­ma qué­bé­cois qui tarau­daient les cri­tiques et les uni­ver­si­taires à la fin des années 2000 étaient fon­dées. Au cours de la décen­nie 2010, le ciné­ma qué­bé­cois a séduit hors de ses fron­tières comme rare­ment aupa­ra­vant. Des cinéastes tels que ceux cités préa­la­ble­ment, aux­quels s’ajoutent, entre autres, Phi­lippe Falar­deau, Ken Scott, Kim Nguyen ou Jean-Marc Val­lée, ont ren­con­tré un suc­cès inter­na­tio­nal plus impor­tant encore que celui de leurs pré­dé­ces­seurs et atti­ré l’attention de l’ogre hol­ly­woo­dien. Les cinéastes qué­bé­cois, recon­nus pour leurs pro­jets inti­mistes, de ciné­ma de genre, de ciné­ma à grand spec­tacle aus­si bien que pour leurs séries télé­vi­sées, semblent désor­mais être au cœur de la mode hollywoodienne.

C’est sans doute le suc­cès inter­na­tio­nal et aca­dé­mique d’Incen­dies (Denis Vil­le­neuve, 2010) qui a ouvert la porte d’Hollywood à cette géné­ra­tion de cinéastes, avant le Mon­sieur Laz­har de Phi­lippe Falar­deau sor­ti un an plus tard. Tan­dis que les films de ces artistes sont régu­liè­re­ment dis­tin­gués aux Oscars et aux Gol­den Globes, la Hol­ly­wood Cri­tics Asso­cia­tion a élu Denis Vil­le­neuve « cinéaste de la décen­nie » et salué ses films Pri­so­ners (2013), Sica­rio (2015), Arri­val (2016) et Blade Run­ner 2049 (2017), qui sont autant de suc­cès hol­ly­woo­diens. Un cinéaste comme Jean-Marc Val­lée imprime quant à lui son style aus­si bien au ciné­ma, avec des films comme The Young Vic­to­ria (2009), Dal­las Buyers Club (2013), Wild (2014) ou Demo­li­tion (2015), qu’à la télé­vi­sion, avec les séries de la chaîne HBO Big Lit­tle Lies (2017) et Sharp Objects (2018). Comme c’est le cas pour Vil­le­neuve, le style visuel du cinéaste influe sur ses pro­duc­tions et s’impose comme un modèle pour le grand contexte hol­ly­woo­dien5. Autre point com­mun entre ces deux cinéastes : ils ont tous les deux la capa­ci­té de tour­ner des pro­duc­tions dont le cachet artis­tique sub­jugue et qui paraissent gran­dioses avec, sou­vent, un bud­get assez faible pour la norme hol­ly­woo­dienne, ce qui est géné­ra­le­ment vrai, aus­si, pour l’ensemble de la géné­ra­tion de cinéastes adu­lés à l’international dont nous venons de défi­nir les contours.

Cet engoue­ment d’Hollywood pour le ciné­ma qué­bé­cois est-il propre à la période qui s’ouvre à la fin des années 2000 ? Pour répondre à cette ques­tion, il paraît néces­saire d’étudier plus en pro­fon­deur l’histoire du rap­port entre l’univers hol­ly­woo­dien et la sphère artis­tique qué­bé­coise. Hol­ly­wood attire aujourd’hui de nom­breux talents qué­bé­cois au sein de son indus­trie. En témoigne, outre les cas des cinéastes nom­més pré­cé­dem­ment, la migra­tion de talents aus­si diver­si­fiés que ceux du chef déco­ra­teur Patrice Ver­mette, de la cos­tu­mière Renée April, de la colo­riste Maxine Ger­vais, du réa­li­sa­teur et cadreur Ste­phen Cam­pa­nel­li, du direc­teur de la pho­to­gra­phie Yves Bélan­ger, du pro­duc­teur Roger Frap­pier ou encore de l’actrice Sophie Nélisse. Si l’ampleur actuelle de ce mou­ve­ment vers « Tin­sel­town » semble assez inédite, le départ d’artistes qué­bé­cois vers Hol­ly­wood n’est pas pour autant une nou­veau­té et trouve de nom­breux pré­cé­dents. Citons par exemple le cas du réa­li­sa­teur Mack Sen­nett, un Qué­bé­cois de nais­sance qui démé­na­gea à Hol­ly­wood tout en conser­vant des attaches fami­liales au Qué­bec après y avoir pas­sé l’essentiel de sa jeu­nesse. Il en va de même pour deux autres talents de l’ère muette et de l’âge d’or d’Hollywood, l’actrice Nor­ma Shea­rer et son frère Dou­glas, un célèbre spé­cia­liste des effets spé­ciaux et de la recherche sonore ayant notam­ment œuvré une grande par­tie de sa car­rière à la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). Les Shea­rer firent en effet la tran­si­tion Mont­réal-Hol­ly­wood (avec une escale à New York pour Nor­ma). Pau­line Garon, Gene­viève Bujold, Suzanne Clou­tier, Fifi D’Orsay sont autant d’actrices qué­bé­coises qui tra­ver­sèrent, non sans suc­cès, l’histoire hol­ly­woo­dienne. Du côté des acteurs, le Qué­bé­cois fran­co­phone Hen­ri Leton­dal y ren­con­tra le suc­cès et le Qué­bé­cois anglo­phone Glenn Ford devint une star notoire du ciné­ma hol­ly­woo­dien clas­sique. C’est dire l’influence durable de cer­tains artistes du Qué­bec sur l’industrie hollywoodienne.

Est-il pos­sible, dès lors, d’établir une généa­lo­gie du phé­no­mène qué­bé­cois à Hol­ly­wood, des bal­bu­tie­ments de la « Mecque du ciné­ma » jusqu’au rayon­ne­ment des artistes contem­po­rains ? Et que dire de l’attrait exer­cé par le Qué­bec sur le ciné­ma hol­ly­woo­dien6, par exemple dans un film comme Agnès de Dieu (Nor­man Jewi­son, 1985), dans lequel Jane Fon­da enquête à Mont­réal au sein du couvent des Petites Sœurs de Marie Made­leine ? Les films amé­ri­cains qui déve­loppent leur intrigue au Qué­bec ou qui per­mettent la ren­contre entre stars hol­ly­woo­diennes et acteurs.trices québécois.e.s sur les écrans témoignent d’un fort inté­rêt pour la pro­vince qui mérite, lui aus­si, d’être mis en pers­pec­tive. Ain­si, bien que l’ère moderne nous incite à nous pen­cher de prime abord sur le phé­no­mène qué­bé­cois à Hol­ly­wood, il nous semble per­ti­nent de vou­loir dres­ser une généa­lo­gie des trans­ferts cultu­rels entre Hol­ly­wood et le Qué­bec.

À cet égard, Nou­velles Vues sol­li­cite pour son numé­ro thé­ma­tique « Trans­ferts cultu­rels : Hol­ly­wood-Qué­bec » des articles trai­tant des thé­ma­tiques évo­quées pré­cé­dem­ment. Toute pro­po­si­tion qui pour­rait offrir de nou­velles pers­pec­tives sur les col­la­bo­ra­tions qué­bé­co-hol­ly­woo­diennes est éga­le­ment encou­ra­gée. Les pro­po­si­tions pour­raient trai­ter plus spécifiquement :

  • des artistes qué­bé­cois œuvrant à Hollywood ;
  • des artistes amé­ri­cains ayant œuvré au Québec ;
  • des films qué­bé­cois trai­tant d’Hollywood ;
  • des films hol­ly­woo­diens embras­sant une thé­ma­tique québécoise ;
  • de l’histoire des col­la­bo­ra­tions québéco-hollywoodiennes.

Les pro­po­si­tions d’article devront conte­nir un titre, une brève notice bio­bi­blio­gra­phique, de même qu’un résu­mé d’un maxi­mum de 500 mots. Ce résu­mé devra cir­cons­crire un cor­pus et mettre en avant une hypo­thèse de tra­vail sui­vant l’un des angles ou sujets men­tion­nés. Le tout devra être envoyé aux trois adresses sui­vantes : nouvellesvues.qc@gmail.comthomas.carrier-lafleur@umontreal.ca et baptiste.creps@umontreal.ca au plus tard le 2 octobre 2023. Les auteurs.trices des pro­po­si­tions rete­nues seront invité.e.s à sou­mettre un article rédi­gé en fran­çais ou en anglais et com­por­tant entre 45 000 et 60 000 carac­tères, espaces com­prises, au plus tard le 1er mars 2024. Les articles seront sou­mis à un pro­ces­sus d’évaluation par les pairs en double aveugle et leur publi­ca­tion sera condi­tion­nelle à leur accep­ta­tion par au moins deux évaluations.

Notices bio­bi­blio­gra­phiques

Bap­tiste Creps est cher­cheur post­doc­to­ral à l’Université de Mont­réal. Il est notam­ment spé­cia­li­sé dans l’histoire des formes hol­ly­woo­diennes. Il est l’auteur d’une thèse inti­tu­lée Nais­sance d’un néo­clas­si­cisme hol­ly­woo­dien (2021) et d’articles scien­ti­fiques qui sont les résul­tats de recherches trans­ver­sales entre le ciné­ma, l’histoire de l’art, la musique, l’histoire du jeu vidéo et celle des nou­velles tech­no­lo­gies. Il œuvre actuel­le­ment à la rédac­tion d’un ouvrage consa­cré au cinéaste Jean-Marc Val­lée dont il est le co-auteur avec Tho­mas Carrier-Lafleur.

Tho­mas Car­rier-Lafleur est char­gé de cours à l’Université Concor­dia et à l’Université de Mont­réal, où il occupe aus­si le poste de direc­teur adjoint du Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias. Dans une pers­pec­tive inter­mé­diale qui étu­die les pro­ces­sus de trans­po­si­tion écra­nique des textes lit­té­raires, ses recherches portent sur les lit­té­ra­tures fran­çaise et qué­bé­coise ain­si que sur le ciné­ma qué­bé­cois. Il est notam­ment l’auteur de Voir dis­pa­raître : une lec­ture du ciné­ma de Sébas­tien Pilote (L’Instant même, 2021) ; Pro­jec­tions croi­sées : dia­logues sur la lit­té­ra­ture, le ciné­ma et la créa­tion avec Andrée A. Michaud et Simon Dumas (Figu­ra, 2021) ; Il s’est écar­té : enquête sur la mort de Fran­çois Para­dis (Nota bene, 2019 ; avec David Bélan­ger) ; et de L’œil ciné­ma­to­gra­phique de Proust (Clas­siques Gar­nier, 2016). Il est éga­le­ment codi­rec­teur de Nou­velles Vues : revue sur les pra­tiques, les théo­ries et l’histoire du ciné­ma au Qué­bec.


1 Isa­belle Dau­nais, Le roman sans aven­ture (Mont­réal : Les Édi­tions du Boréal, 2015) : 7.

2 Chris­tian Poi­rier, « Le “renou­veau” du ciné­ma qué­bé­cois », Cités 23.3 (2005) : 165–182.

3 Jean-Pierre Sirois-Tra­han, « La mou­vée et son dehors : renou­veau du ciné­ma qué­bé­cois », Cahiers du ciné­ma,no 660 (octobre 2010) : 76.

4 Mar­tin Bilo­deau, Bru­no Dequen, Phi­lippe Gajan, Ger­main Lacasse, Syl­vain Laval­lée, Marie-Claude Loi­selle et Jean-Pierre Sirois-Tra­han, « Table ronde : le renou­veau du ciné­ma d’auteur qué­bé­cois », 24 images no 152 (2011) : 14–22.

5 Lorsque la cinéaste bri­tan­nique Andrea Arnold reprit la réa­li­sa­tion des épi­sodes de la deuxième sai­son de Big Lit­tle Lies, cette influence eut des consé­quences néfastes sur la liber­té artis­tique de la réa­li­sa­trice. Les pro­duc­teurs de la série n’hésitèrent pas à court-cir­cui­ter le style d’Arnold en post­pro­duc­tion afin d’imiter l’esthétique et le mon­tage que Val­lée avait mis au point pour la pre­mière sai­son, ce qui sus­ci­ta un vent de mécon­ten­te­ment dans la com­mu­nau­té ciné­ma­to­gra­phique. Le mot-clic « #Relea­se­TheAr­nold­Cut » mit au jour l’injustice, gen­rée ou sim­ple­ment oppo­sée au prin­cipe de liber­té artis­tique, subie par la cinéaste bri­tan­nique. Au sujet de cette contro­verse, voir Aisha Vic­to­ria Deeb, « #Relea­se­TheAr­nold­Cut is tren­ding after female Direc­tor of Big Lit­tle Lies was side­li­ned », Mashable (15 juillet 2019), https://me.mashable.com/culture/6102/releasethearnoldcut-is-trending-after-female-director-of-big-little-lies-was-sidelined.

6 Le numé­ro « Ciné­ma qué­bé­cois et États-Unis » (1997) de la revue Ciné­mas, qui por­tait sur l’histoire des liens entre le ciné­ma qué­bé­cois et les États-Unis, a déjà quelque peu déblayé cette ques­tion. Voir Louise Car­rière (dir.), « Ciné­ma qué­bé­cois et États-Unis », Ciné­mas 7.3 (1997), https://www.erudit.org/fr/revues/cine/1997-v7-n3-cine1500366/ (consul­té le 25 octobre 2022).