par André Gaudreault et Louis Pelletier,
Laboratoire CinéMédias, Université de Montréal
Le 30 novembre 2020, un membre « historique » du Groupe de recherche sur l’avènement et la formation des institutions cinématographique et scénique (GRAFICS) nous a quittés. Pierre, qui a aussi été professeur associé au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l’Université de Montréal, a été membre actif, fort actif d’ailleurs, du GRAFICS, depuis la naissance du groupe en 1992 jusqu’en 2010, alors qu’il s’est mis en retrait pour mener un combat contre une maladie dont il a été, durant de nombreuses années, un survivant, et un modèle de résilience.
Pierre était un géant et il fit faire, durant près de 40 ans, des pas de géant à la Cinémathèque québécoise, dont il était un des essentiels piliers. Il a par ailleurs contribué comme pas un à développer notre connaissance du cinéma québécois. Il fut un défenseur aguerri de la préservation des archives, de la conservation des collections et de leur mise à disposition. C ‘était un être passionné et passionnant.
Nous venons de perdre un grand chercheur en cinéma. L’un de ceux qui auront permis aux études cinématographiques de trouver leur place au sein de la société québécoise et canadienne.
Nous lui devons beaucoup et il va nous manquer.
André Gaudreault
Titulaire de la
Chaire de recherche du Canada en études cinématographiques et médiatiques
et fondateur du Laboratoire CinéMédias
Pierre Véronneau avait une grande gueule. Pierre Véronneau avait aussi une grande érudition se manifestant notamment par une connaissance unique de l’histoire de la cinématographie québécoise comme du cinéma mondial. La conjonction de ces deux faits lui aura valu bien des accrochages avec ceux, nombreux, qui s’imaginent qu’une connaissance des faits, de l’économie et de la technique du cinéma n’est rien de plus qu’une marque d’excentricité incompatible avec « la vraie recherche universitaire ». Mais Pierre était plus qu’un historien pointilleux ayant œuvré pendant près de quatre décennies au développement de la Cinémathèque québécoise et de ses collections. Il était aussi un cinéphile d’une grande perspicacité, tout autant capable de jeter un éclairage nouveau sur une vue Edison de 1902 que sur le dernier film d’auteur québécois. Sa curiosité et son engagement envers la nation québécoise l’auront également mené à innover en ouvrant tout un lot de champs de recherche ayant transformé l’historiographie du cinéma au cours des dernières décennies. Pierre a de cette façon joué un rôle déterminant dans les premières tentatives rigoureuses de cartographie de la cinématographie québécoise, la « Filmographie des « vues » tournées au Québec au temps du muet » et la base de données Répertoire de la Cinémathèque québécoise, en plus de produire une exposition interactive pionnière sur l’histoire du cinéma documentaire. Mais il fut également un des premiers à comprendre que, pour une nation existant comme le Québec à la périphérie de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada anglais, l’étude de la diffusion du cinéma importait tout autant que celle de la production des films. Les historiens citeront ainsi encore longtemps ses recherches sur le travail des projectionnistes ambulants, la distribution du cinéma français au Québec, et la diffusion des films québécois en France. Peu avare de ses connaissances et de son expertise, Pierre était par ailleurs très impliqué dans plusieurs revues et réseaux de diffusion de la recherche, dont Domitor, Cinémas et l’Association canadienne d’études cinématographiques, de même que dans l’enseignement et la formation des jeunes chercheurs. C’est ainsi Pierre qui m’aura encouragé à étudier le marché de l’exploitation cinématographique au Québec et orienté vers un fonds d’archives jusqu’alors inexploité. Sans ses conseils, il ne m’aurait simplement pas été possible de compléter mon mémoire de maîtrise, ma thèse de doctorat et mon manuscrit de livre. Sa disparition fait maintenant en sorte que je ne redouterai plus de recevoir un courriel énumérant toutes mes erreurs au moment de la parution de mon prochain article. Et ça m’attriste.
Louis Pelletier
Laboratoire CinéMédias
Université de Montréal