Grâce au soutien de cinEXmedia, la chercheuse s’est rendue à l’Institut international d'histoire sociale d’Amsterdam afin de consulter un fonds photographique inédit.
Olivier Du Ruisseau
La chercheuse au sein du Laboratoire CinéMédias, Claudia Polledri, dont les travaux portent sur le cinéma et la photographie au Moyen-Orient, notamment au Liban et en Iran, a effectué un séjour de recherche auprès de l’Institut international d'histoire sociale d’Amsterdam cet été, grâce au soutien du partenariat cinEXmedia. Elle a pu y consulter un fonds inédit de photographies de la révolution iranienne, réalisées entre 1978 et 1979 par le cinéaste Kâmrân Shirdel (1939-).
Considéré comme un pionnier du documentaire social, Shirdel est l’auteur d’œuvres de référence dont les courts métrages Prison des femmes (1965), Quartier des femmes (1966), Téhéran capitale de l’Iran (1966) ainsi que le documentaire La nuit où il a plu (1967), qui constituent des témoignages importants de la société iranienne de l’époque prérévolutionnaire.
Le fonds photographique déposé à Amsterdam donne accès à un corpus d’images que Shirdel a prises au tournant de la révolution et dont une partie a été exposée (du 30 novembre 2018 au 25 janvier 2019) au Centre d’art Nabshi à Téhéran. L’exposition, intitulée Margins – The revolution in the wanderings of Kâmrân Shirdel, a été accompagnée par un catalogue éponyme.
En suivant une approche génétique à partir de l’exposition et du catalogue, Claudia Polledri a donc entrepris de consulter le fonds photographique déposé à Amsterdam, dans le but d’approfondir la recherche sur le travail photographique du cinéaste. Celui-ci n’avait jamais été consulté auparavant, car il demeurait jusqu’à tout récemment fermé au public.
L’histoire politique de la photo en Iran
« En consultant les archives où se trouvent les photos de Shirdel, j’espère d’abord pouvoir tisser des liens entre le fonds photographique inédit à Amsterdam et l’exposition ainsi que le livre qui en a résulté, explique Claudia Polledri. Je me demande : quelles sont les images qui n’ont pas été exposées et pourquoi ? Comment comprendre ces choix ? Dans un deuxième temps, il s’agit d’analyser la représentation photographique de la révolution par Shirdel et l’approche qui en ressort. Enfin, je m’interroge à savoir comment situer le travail photographique de Shirdel dans le contexte plus large de l’histoire de la photographie en Iran, étant donné le rôle clé joué par la révolution dans l’émergence du reportage d’auteur. »
« De fait, pendant la période du Chah ajoute la chercheuse, les images qui se retrouvaient dans les quotidiens en Iran étaient essentiellement liées à la propagande. C’est surtout pendant la révolution, en raison du besoin de documenter les événements en cours, qui est émergée la pratique du photoreportage d’auteur. »
Claudia Polledri a d’ailleurs consacré un article sur ce thème, paru dans le numéro 31 (2024) de la revue libanaise Regards, intitulé « Soulèvements iraniens. Enjeux contemporains du cinéma et des arts visuels en Iran » et dirigé avec André Habib et Bamchade Pourvali.
Qui plus est, l’étude de l’évolution de la photographie en lien aux mouvements de protestations en Iran « représente un champ très intéressant à explorer », souligne la chercheuse. « Plus récemment, on a assisté à des mutations technologiques importantes, dont le passage au numérique et la diffusion des images sur les réseaux sociaux, poursuit-elle. Ces technologies ont contribué à soutenir des mouvements importants comme le Mouvement vert de 2009 ou encore les soulèvements à la suite de la mort de Mahsa Amini, en 2022. »
En ce sens, les recherches sur le corpus photographique de Shirdel « qui constitue en soi un cas d’étude, s’inscrit dans une perspective historique plus large dont il faut tenir compte », conclut-elle. « Ses implications politiques sont toujours actuelles et conduisent à questionner le rôle et le statut des images dans des contextes autoritaires. »