Le doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal s’intéresse à la notion de glitch en bande dessinée, un domaine pratiquement inexploré jusqu’ici.

Olivier Du Ruisseau
Doctorant en études cinématographiques, option recherche-création, à l’Université de Montréal, Chedly Boughedir est très impliqué dans la vie universitaire. En plus de son travail d’auxiliaire de recherche au Laboratoire CinéMédias, il a participé, ces derniers mois, à l’exposition étudiante Amalgame ainsi qu’au projet DélibérUM. Bédéiste, il explore les usages de l’intelligence artificielle (IA) en bande dessinée et s’intéresse à la notion de glitch, soit une perturbation ou un bogue qui surgit dans certains processus numériques.
L’artiste-chercheur conjugue ainsi réflexion théorique et démarche expérimentale dans ses recherches, lesquelles sont guidées par un intérêt marqué pour « l’erreur, l’accident et leurs potentialités créatives », résume-t-il, en entrevue. « Ce qui m’a amené au glitch, c’est la bande dessinée. Ou plutôt : le glitch m’a ramené vers la bande dessinée, qui m’est apparue comme l’élément principal à étudier au doctorat. »
Selon lui, ce phénomène peut se manifester partout. Il peut s’agir d’« erreurs d’impression, de numérisation, d’erreurs générées par une intelligence artificielle, ou même d’erreurs apparaissant sur les écrans qui affichent les planches de BD ». En s’y intéressant, il cherche à « redéfinir la manière dont on conçoit, pense et lit la bande dessinée ».
Depuis janvier 2024, sous la codirection d’André Gaudreault (Université de Montréal) et de Philippe Marion (Université catholique de Louvain), il travaille à une théorisation du glitch comics, un champ encore peu exploré. « Mon sujet est quasiment inexistant dans la littérature. Personne n’a encore allié ces deux éléments – bande dessinée et glitch – de cette manière », affirme le doctorant.
Originaire de Tunisie, où il a complété une licence en design produit (2016) et un master de recherche (2021) à l’Institut des beaux-arts de Tunis, il explique avoir choisi de s’établir à Montréal « non seulement pour sa riche culture de la bande dessinée, mais aussi pour être encadré par le duo Philippe Marion et André Gaudreault, dont les compétences complémentaires sont idéales pour soutenir et orienter [sa] recherche ». « L’Université de Montréal est aussi reconnue pour ses réflexions sur l’intermédialité, une base théorique essentielle pour nourrir mes travaux sur la bande dessinée et le glitch. »
Installations vidéo
En 2023, Chedly Boughedir a présenté une installation vidéo, Glitchy Moon, à Tokyo, puis à Tunis et à Toronto. Celle-ci proposait une boucle visuelle entre une bande dessinée de 70 pages et une vidéo de 12 secondes, où chaque image de la vidéo correspondait à une page de l’œuvre littéraire. « La BD devient la vidéo, la vidéo devient la BD, dit-il. Il n’y a pas de début ni de fin. »
Dans Noise, une autre installation multimédia récente, présentée en mars dernier lors d’Amalgame, une exposition éphémère annuelle organisée par l’Association des étudiant·es en histoire de l’art de l’Université de Montréal, le doctorant reprenait ce principe en y ajoutant une dimension interactive : des codes QR permettaient d’accéder à d’autres déclinaisons numériques des éléments exposés. « Ce jeu de pistes amène le public à s’impliquer différemment, à devenir une partie prenante de la lecture. »

Cette volonté de bousculer les conventions se traduit aussi dans sa réflexion sur la bande dessinée autobiographique, une piste qu’il approfondit dans le cadre de son doctorat. « J’ai une dysorthographie, et je trouve intéressant que l’écriture manuscrite avec des fautes d’orthographe puisse devenir une forme de représentation. » Pour lui, l’erreur n’est pas à corriger, mais à explorer : « Mon intérêt pour le glitch vient aussi de là, de cette tension entre ce que le système juge faux et ce que je considère authentique. »
Sa technique, hybride, est à l’image de sa démarche artistique. « Normalement, je dessine à la main sur papier, puis je scanne et je poursuis sur ma tablette, mais j’aime aussi froisser le papier, manipuler la matière… Ensuite, je fais entrer le glitch numérique. »
Repousser les frontières
Son engagement universitaire passe également par le projet DélibérUM, un outil de formation sous forme de jeu vidéo destiné à initier les étudiant·es aux mécanismes des assemblées délibérantes, conçu sous la direction du professeur Dominic Arsenault.
Chedly Boughedir s’illustre aussi au sein du milieu culturel montréalais. En 2024, il a réalisé une résidence au centre d’artistes Dare-Dare, où il a exploré les possibilités du lenticulaire pour représenter le mouvement dans les archives. « Cette technique d’impression me permettait de recréer du glitch, et de relier le papier aux supports numériques. »
En repoussant les frontières entre lecture et participation, support imprimé et flux numérique, norme et déviation, Chedly Boughedir trace ainsi un chemin singulier dans le champ des études en bande dessinée. Sa recherche-création ouvre une voie originale et sensible pour repenser le dessin narratif à l’ère de l’intelligence artificielle.