Portrait : Anne-Marie Nolet explore les possibilités réparatrices du cinéma qui traite de violence conjugale

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La cher­cheuse en cri­mi­no­lo­gie inter­roge les affects qui résultent de l’expérience d’une œuvre ciné­ma­to­gra­phique abor­dant les trau­mas de manière sensible.

Pho­to : une image tirée du film Women Tal­king (Sarah Pol­ley, 2022)

Com­ment le ciné­ma peut-il abor­der de manière répa­ra­trice les trau­mas rat­ta­chés à la vio­lence conju­gale ? Anne-Marie Nolet, qui étu­die les vio­lences faites aux femmes dans le cadre de ses études, veut inter­ro­ger la manière dont les sur­vi­vantes reçoivent les œuvres ciné­ma­to­gra­phiques trai­tant de vio­lence conju­gale sous toutes ses formes.

Pro­fes­seure asso­ciée à l’Université de Monc­ton et conseillère à la recherche pour SAS-Femmes, un col­lec­tif de recherches et d’actions sur la sécu­ri­té, l’autonomie et la san­té de toutes les filles et les femmes, Anne-Marie Nolet ter­mi­ne­ra aus­si, dans les pro­chains mois, une maî­trise en ciné­ma, pro­fil recherche-créa­tion, à l’Université de Mont­réal. Le fait de tra­vailler sur les vio­lences faites aux femmes est pour elle une mis­sion de vie. C’est d’ailleurs la rai­son qui l’a menée à enta­mer un par­cours en ciné­ma, après des études doc­to­rales et post­doc­to­rales en criminologie.

Après ses recherches en cri­mi­no­lo­gie, la cher­cheuse a vou­lu diver­si­fier ses façons d’aborder les vio­lences faites aux femmes. Son inté­rêt pour la récep­tion des œuvres par les sur­vi­vantes est né de son sou­hait que celles-ci puissent regar­der des films sans vivre de nou­veaux trau­mas. Elle espère explo­rer les genres d’œuvres et les contextes de vision­ne­ment qui peuvent être pri­vi­lé­giés afin de faire vivre une expé­rience répa­ra­trice aux vic­times. Son objec­tif est de per­mettre aux sur­vi­vantes d’avoir recours au ciné­ma pour revi­si­ter leur trau­ma d’une manière construc­tive et aidante, tout en s’assurant que les œuvres demeurent tolérables.

« Le ciné­ma reflète la socié­té mais contri­bue aus­si à la soigner »

En cri­mi­no­lo­gie, le prin­ci­pal champ d’expertise d’Anne-Marie Nolet est l’entourage des femmes vic­times de vio­lence conju­gale, et plus pré­ci­sé­ment de vio­lence de type « coer­ci­tive ». Elle estime que ses recherches lui ont per­mis de por­ter un regard « glo­bal » sur les contextes dans les­quels les femmes vivent des vio­lences et tentent d’en sor­tir. La cher­cheuse approche le ciné­ma sous le même angle, en consi­dé­rant que les œuvres ciné­ma­to­gra­phiques contri­buent à façon­ner la socié­té au sein de laquelle les sur­vi­vantes et leurs proches évoluent.

Elle inter­roge notam­ment la manière dont une œuvre ciné­ma­to­gra­phique peut évi­ter les pro­ces­sus d’objectification afin d’aborder les trau­mas avec sen­si­bi­li­té. Ce sont les effets répa­ra­teurs poten­tiels qui peuvent résul­ter d’un contexte de vision­ne­ment sécu­ri­sant, bien­veillant et accom­pa­gné, où le res­sen­ti de la per­sonne qui regarde est au cœur des pré­oc­cu­pa­tions, qui l’intéressent tout particulièrement.

Pho­to : cour­toi­sie d'Anne-Marie Nolet | La cher­cheuse Anne-Marie Nolet

Le fait de repré­sen­ter les vio­lences conju­gale et sexuelle en images en met­tant l’accent sur le sou­tien que l’on peut rece­voir ou don­ner aux femmes per­met­trait d’« employer le ciné­ma pour se pen­cher sur autre chose que des pro­blé­ma­tiques qui objec­ti­fient les femmes », affirme la cher­cheuse. « Le ciné­ma reflète la socié­té, mais contri­bue aus­si à la soi­gner », pour­suit-elle, esti­mant que le sep­tième art peut rendre le public plus sen­sible aux traumas.

« Vers des recherches sur la récep­tion d’œuvres par des sur­vi­vantes de traumas »

La ren­contre du ciné­ma et de la cri­mi­no­lo­gie dans le par­cours d’Anne-Marie Nolet a éga­le­ment don­né nais­sance à un nou­veau pro­jet qui se déve­loppe actuel­le­ment en col­la­bo­ra­tion avec cinEXmedia. Ce pro­jet de recherche, qui, outre la cher­cheuse, réunit éga­le­ment Marie-Marthe Cou­si­neau, Éliane Dus­sault, Nata­cha God­bout et San­tia­go Hidal­go, pro­pose une étude de la récep­tion des films qui traitent de vio­lence conju­gale de manière sensible. 

Selon une approche phé­no­mé­no­lo­gique, Anne-Marie Nolet sou­haite ana­ly­ser cette récep­tion par le biais de groupes de vision­ne­ment éta­blis en col­la­bo­ra­tion avec des mai­sons d’hébergement. Elle compte notam­ment s’appuyer sur les études des théo­ri­ciennes Lau­ra U. Marks et Vivienne Scho­back, qui explorent toutes deux la phé­no­mé­no­lo­gie appli­quée au cinéma.

Le pro­jet vise à conce­voir des contextes de vision­ne­ment où les femmes peuvent vision­ner des œuvres ciné­ma­to­gra­phiques sen­sibles aux trau­mas en pré­sence d’intervenantes et ensuite dia­lo­guer au sujet de leur expé­rience. À titre d’exemple, la cher­cheuse pense au long métrage Women Tal­king (2022), réa­li­sé par la cinéaste cana­dienne Sarah Pol­ley, qu’elle consi­dère comme une œuvre « ayant le poten­tiel d’aider à la gué­ri­son des survivantes ».

La per­ti­nence de l’étude à venir réside dans la com­plé­men­ta­ri­té des membres de l’équipe, dont les exper­tises vont de la recherche par­te­na­riale à la pra­tique cli­nique auprès des per­sonnes sur­vi­vantes de trau­ma, en pas­sant par l’analyse de la récep­tion ciné­ma­to­gra­phique et les approches sen­sibles au trau­ma. Cette inter­dis­ci­pli­na­ri­té « a l’avantage de géné­rer des nou­velles connais­sances utiles à plu­sieurs champs d’études qui dia­loguent géné­ra­le­ment peu », sou­tient Anne-Marie Nolet.

Marie-Marthe Cou­si­neau, pro­fes­seure titu­laire à l’École de cri­mi­no­lo­gie de l’Université de Mont­réal et direc­trice de SAS-Femmes, découvre ain­si le ciné­ma sous un nou­veau jour par l’entremise de ce pro­jet de recherche qui inter­roge la récep­tion de la mise en images de la réa­li­té des vic­times de vio­lence conju­gale. Pour elle, le ciné­ma « a la capa­ci­té de mon­trer et de dénon­cer ces vio­lences qui s’inscrivent dans des struc­tures sociales qui défa­vo­risent les femmes ». Elle est d’avis que toute ten­ta­tive de média­ti­ser ou de repré­sen­ter l’expérience des vic­times à tra­vers une lec­ture exté­rieure doit impé­ra­ti­ve­ment « s’accompagner d’une réflexion sur les impacts de ces repré­sen­ta­tions sur les sur­vi­vantes elles-mêmes ».

Les col­la­bo­ra­tions et les déve­lop­pe­ments liés à cette étude publiés sur la page Ins­ta­gram @cinema.sensible, mise en place avec le sou­tien d’Éliane Dus­sault, experte en mobi­li­sa­tion des connais­sances et col­la­bo­ra­trice du projet.