La chercheuse en criminologie interroge les affects qui résultent de l’expérience d’une œuvre cinématographique abordant les traumas de manière sensible.

Sophie Leclair-Tremblay
Comment le cinéma peut-il aborder de manière réparatrice les traumas rattachés à la violence conjugale ? Anne-Marie Nolet, qui étudie les violences faites aux femmes dans le cadre de ses études, veut interroger la manière dont les survivantes reçoivent les œuvres cinématographiques traitant de violence conjugale sous toutes ses formes.
Professeure associée à l’Université de Moncton et conseillère à la recherche pour SAS-Femmes, un collectif de recherches et d’actions sur la sécurité, l’autonomie et la santé de toutes les filles et les femmes, Anne-Marie Nolet terminera aussi, dans les prochains mois, une maîtrise en cinéma, profil recherche-création, à l’Université de Montréal. Le fait de travailler sur les violences faites aux femmes est pour elle une mission de vie. C’est d’ailleurs la raison qui l’a menée à entamer un parcours en cinéma, après des études doctorales et postdoctorales en criminologie.
Après ses recherches en criminologie, la chercheuse a voulu diversifier ses façons d’aborder les violences faites aux femmes. Son intérêt pour la réception des œuvres par les survivantes est né de son souhait que celles-ci puissent regarder des films sans vivre de nouveaux traumas. Elle espère explorer les genres d’œuvres et les contextes de visionnement qui peuvent être privilégiés afin de faire vivre une expérience réparatrice aux victimes. Son objectif est de permettre aux survivantes d’avoir recours au cinéma pour revisiter leur trauma d’une manière constructive et aidante, tout en s’assurant que les œuvres demeurent tolérables.
« Le cinéma reflète la société mais contribue aussi à la soigner »
En criminologie, le principal champ d’expertise d’Anne-Marie Nolet est l’entourage des femmes victimes de violence conjugale, et plus précisément de violence de type « coercitive ». Elle estime que ses recherches lui ont permis de porter un regard « global » sur les contextes dans lesquels les femmes vivent des violences et tentent d’en sortir. La chercheuse approche le cinéma sous le même angle, en considérant que les œuvres cinématographiques contribuent à façonner la société au sein de laquelle les survivantes et leurs proches évoluent.
Elle interroge notamment la manière dont une œuvre cinématographique peut éviter les processus d’objectification afin d’aborder les traumas avec sensibilité. Ce sont les effets réparateurs potentiels qui peuvent résulter d’un contexte de visionnement sécurisant, bienveillant et accompagné, où le ressenti de la personne qui regarde est au cœur des préoccupations, qui l’intéressent tout particulièrement.

Le fait de représenter les violences conjugale et sexuelle en images en mettant l’accent sur le soutien que l’on peut recevoir ou donner aux femmes permettrait d’« employer le cinéma pour se pencher sur autre chose que des problématiques qui objectifient les femmes », affirme la chercheuse. « Le cinéma reflète la société, mais contribue aussi à la soigner », poursuit-elle, estimant que le septième art peut rendre le public plus sensible aux traumas.
« Vers des recherches sur la réception d’œuvres par des survivantes de traumas »
La rencontre du cinéma et de la criminologie dans le parcours d’Anne-Marie Nolet a également donné naissance à un nouveau projet qui se développe actuellement en collaboration avec cinEXmedia. Ce projet de recherche, qui, outre la chercheuse, réunit également Marie-Marthe Cousineau, Éliane Dussault, Natacha Godbout et Santiago Hidalgo, propose une étude de la réception des films qui traitent de violence conjugale de manière sensible.
Selon une approche phénoménologique, Anne-Marie Nolet souhaite analyser cette réception par le biais de groupes de visionnement établis en collaboration avec des maisons d’hébergement. Elle compte notamment s’appuyer sur les études des théoriciennes Laura U. Marks et Vivienne Schoback, qui explorent toutes deux la phénoménologie appliquée au cinéma.
Le projet vise à concevoir des contextes de visionnement où les femmes peuvent visionner des œuvres cinématographiques sensibles aux traumas en présence d’intervenantes et ensuite dialoguer au sujet de leur expérience. À titre d’exemple, la chercheuse pense au long métrage Women Talking (2022), réalisé par la cinéaste canadienne Sarah Polley, qu’elle considère comme une œuvre « ayant le potentiel d’aider à la guérison des survivantes ».
La pertinence de l’étude à venir réside dans la complémentarité des membres de l’équipe, dont les expertises vont de la recherche partenariale à la pratique clinique auprès des personnes survivantes de trauma, en passant par l’analyse de la réception cinématographique et les approches sensibles au trauma. Cette interdisciplinarité « a l’avantage de générer des nouvelles connaissances utiles à plusieurs champs d’études qui dialoguent généralement peu », soutient Anne-Marie Nolet.
Marie-Marthe Cousineau, professeure titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et directrice de SAS-Femmes, découvre ainsi le cinéma sous un nouveau jour par l’entremise de ce projet de recherche qui interroge la réception de la mise en images de la réalité des victimes de violence conjugale. Pour elle, le cinéma « a la capacité de montrer et de dénoncer ces violences qui s’inscrivent dans des structures sociales qui défavorisent les femmes ». Elle est d’avis que toute tentative de médiatiser ou de représenter l’expérience des victimes à travers une lecture extérieure doit impérativement « s’accompagner d’une réflexion sur les impacts de ces représentations sur les survivantes elles-mêmes ».
Les collaborations et les développements liés à cette étude publiés sur la page Instagram @cinema.sensible, mise en place avec le soutien d’Éliane Dussault, experte en mobilisation des connaissances et collaboratrice du projet.