Le Neuroscience & Humanities Lab, un cousin outre-Atlantique de cinEXmedia

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L’organisme, basé à l’Université de Parme et diri­gé par Vit­to­rio Gal­lese, mène divers pro­jets inter­sec­to­riels com­bi­nant arts et neu­ros­ciences, comme cinEXmedia.

Vit­to­rio Gal­lese, lors d'une confé­rence à l'Institut uni­ver­si­taire de géria­trie de Mont­réal, le 30 mars 2023

Le cher­cheur ita­lien Vit­to­rio Gal­lese est un col­la­bo­ra­teur de longue date de cinEXmedia. Non seule­ment a-t-il inau­gu­ré, l’an der­nier, les Grandes confé­rences de la Chaire de recherche du Cana­da en études ciné­ma­to­gra­phiques et média­tiques, mais son labo­ra­toire Neu­ros­cience & Huma­ni­ties, basé à l’Université de Parme,mène aus­si plu­sieurs pro­jets inter­sec­to­riels avec le par­te­na­riat. Il songe même à éla­bo­rer un nou­veau pro­gramme inter­na­tio­nal de maî­trise, com­bi­nant arts et neu­ros­ciences, avec l’Université de Montréal.

Sa col­la­bo­ra­tion avec cinEXmedia est née à la suite de la publi­ca­tion de son livre The Empa­thic Screen : Cine­ma and Neu­ros­cience (2019). Dans cet ouvrage, cosi­gné avec l’historien du ciné­ma Michele Guer­ra, Vit­to­rio Gal­lese tente d’expliquer l’expérience ciné­ma­to­gra­phique, du point de vue des spectateurs·rices, à tra­vers le prisme des neu­ros­ciences. Il pro­pose notam­ment un nou­veau modèle de per­cep­tion — la « simu­la­tion incar­née » — afin de démon­trer le rôle joué par les cir­cuits céré­braux sen­so­ri­mo­teurs liés à l’affect dans la cog­ni­tion et l’expérience cinématographique.

André Gau­dreault, fon­da­teur de cinEXmedia, et San­tia­go Hidal­go, direc­teur exé­cu­tif du par­te­na­riat, ont été par­ti­cu­liè­re­ment inter­pel­lés par l’ouvrage, étant don­né qu’ils mènent eux-mêmes des tra­vaux inter­sec­to­riels en ciné­ma et en neu­ros­ciences. Leurs pro­jets récents avec le Centre de recherche de l’Institut uni­ver­si­taire de géria­trie de Mont­réal (CRIUGM) en est un bon exemple.

Les deux cher­cheurs ont donc contac­té Vit­to­rio Gal­lese en 2020, pour lui deman­der s’il vou­lait deve­nir membre de cinEXmedia, dans la fou­lée d’une demande de sub­ven­tion au Conseil de recherches en sciences humaines du Cana­da. Depuis, il a pré­sen­té deux confé­rences à l’Université de Mont­réal au prin­temps 2023, et André Gau­dreault a été reçu comme cher­cheur invi­té à l’Université de Parme l’automne dernier.

Entre­tien  Pour une expé­rience du ciné­ma « par le corps »

Afin d’en savoir plus sur les tra­vaux que le neu­ros­cien­ti­fique ita­lien mène à son labo­ra­toire, et pour mieux com­prendre com­ment l’expérience ciné­ma­to­gra­phique peut être étu­diée empi­ri­que­ment, nous l’avons joint par visio­con­fé­rence. Voi­ci, ci-des­sous, un conden­sé de notre entre­tien, qui s’est dérou­lé en anglais.

Com­ment avez-vous com­men­cé à tra­vailler à l’intersection du ciné­ma et des neurosciences ?

À la base, je suis cher­cheur et pro­fes­seur en neu­ros­ciences. Ce n’est donc qu’en tra­vaillant avec Michele Guer­ra pour écrire The Empa­thic Screen que j’ai com­men­cé à m’intéresser à la manière dont on pou­vait faire l’expérience du ciné­ma d’un point de vue neu­ros­cien­ti­fique, notam­ment parce que trop peu d’études avaient été faites sur le sujet auparavant.

C’est aus­si pour­quoi nous avons mis sur pied le Neu­ros­ciences & Huma­ni­ties Lab. Nous conce­vons cet orga­nisme comme une pla­te­forme pour éta­blir des liens entre les neu­ros­ciences et dif­fé­rents domaines des sciences humaines. On y orga­nise prin­ci­pa­le­ment des webi­naires, des sémi­naires et des confé­rences où des invité·es de tous hori­zons peuvent apprendre les un·es  des autres. Nos invité·es couvrent des sujets très variés, allant de l’impact de l’intelligence arti­fi­cielle sur la créa­tion artis­tique au fonc­tion­ne­ment de l’empathie en esthé­tique. Nous avons reçu Siri Hust­vedt et Jes­si­ca Grahn, par exemple, ain­si que Michele Guer­ra, bien sûr.

Com­ment se fait-il qu’encore aujourd’hui aus­si peu de chercheur·euses en études ciné­ma­to­gra­phiques intègrent la science appli­quée à leurs travaux ?

C’est sur­tout parce qu’historiquement, on n’a pas assez consi­dé­ré l’expérience ciné­ma­to­gra­phique comme étant cor­po­relle et sen­so­rielle. Pen­dant des décen­nies, le para­digme domi­nant était le cog­ni­ti­visme clas­sique, selon lequel le corps agit essen­tiel­le­ment comme un appa­reil qui trans­porte le cer­veau. De plus, très peu de chercheur·euses osent explo­rer des domaines qu’elles ou ils ne connaissent pas. Ça m’a quand même pris quelques années pour me fami­lia­ri­ser avec la théo­rie et l’histoire du ciné­ma avant de pou­voir écrire là-des­sus.

D’ailleurs, dans les pre­miers temps du ciné­ma, beau­coup d’auteur·es se sont penché·es sur la récep­tion du ciné­ma par le corps, sur les rai­sons pour les­quelles le public réagis­sait for­te­ment aux films. Mais la plu­part des théo­ries qui ont sui­vi, au XXe siècle, ne se sont pas vrai­ment inté­res­sées au corps – de l’analyse à la psy­cha­na­lyse, en pas­sant par David Bord­well, par exemple. Heu­reu­se­ment, une nou­velle géné­ra­tion, dont je fais par­tie, com­mence à remé­dier à la situa­tion. De plus en plus de chercheur·euses emploient même la notion de simu­la­tion incar­née, sur laquelle j’ai beau­coup écrit ces der­nières années.

Com­ment vous assu­rez-vous de récol­ter des don­nées fiables lorsque vous faites des obser­va­tions empi­riques sur l’expérience ciné­ma­to­gra­phique ? Cela doit s’avérer qua­si impos­sible d’étudier tous les fac­teurs qui influencent les réponses du cer­veau aux conte­nus audiovisuels.

En effet, il faut iso­ler et mesu­rer un seul fac­teur à la fois. C’est aus­si très dif­fi­cile de recons­truire une expé­rience ciné­ma­to­gra­phique typique – en salle de ciné­ma – dans un labo­ra­toire. Si vous venez dans mon labo­ra­toire, vous allez por­ter un casque qui sera bran­ché à un ordi­na­teur et vous serez entou­ré d’équipement.

Je pense quand même que nos expé­riences nous apportent des résul­tats concrets et consé­quents. Nous avons pu noter, par exemple, dif­fé­rentes réac­tions au niveau du cer­veau des participant·es, en fonc­tion des mou­ve­ments de camé­ra dans des extraits qu’on leur pré­sen­tait. Dans une autre expé­rience, nous avons pu consta­ter de plus vives réac­tions lorsque les participant·es voyaient des films où la règle des 180 degrés, un des prin­cipes de mon­tage hol­ly­woo­dien clas­sique, n’était pas res­pec­tée. Nous avons éga­le­ment pu com­pa­rer l’impact des types d’installations sonores – mono­pho­nique, sté­réo­pho­nique ou mul­ti­ca­nal – sur l’éveil émo­tion­nel des spectateur·rices. On pro­cède donc un fac­teur à la fois, mais on obtient quand même de bons résultats.

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Maî­trise internationale

À la fin de l’entretien, Vit­to­rio Gal­lese nous explique qu’il essaie aus­si de mettre sur pied un pro­gramme inter­na­tio­nal de maî­trise com­bi­nant arts, neu­ros­ciences et sciences humaines. « Il y avait beau­coup d’intérêt de la part d’André Gau­dreault pour y tra­vailler avec l’Université de Mont­réal, dit-il, mais de mon côté de l’Atlantique, c’est très com­pli­qué de convaincre le milieu uni­ver­si­taire de se lan­cer dans ce genre de projet. »

« Il reste énor­mé­ment de tra­vail à faire pour encou­ra­ger les uni­ver­si­tés à mener des pro­jets de recherche et à pro­po­ser des cours sui­vant des approches inter­sec­to­rielles, conclut le pro­fes­seur. C’était donc très sti­mu­lant pour moi d’apprendre qu’un labo­ra­toire comme Ciné­Mé­dias s’y inté­res­sait et qu’on pou­vait tra­vailler ensemble. »