André Gaudreault et son équipe présentent leurs recherches sur l’IA à Paris

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Le codi­rec­teur de cinEXmedia a par­ti­ci­pé, avec des cher­cheuses du Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias, au col­loque inter­na­tio­nal « Couper/générer. Le mon­tage à l’épreuve de l’IA », qui s’est tenu le 26 avril der­nier, à Paris.

Pho­to : Roland Gode­froy (Wiki­me­dia Com­mons) | L'Université Sor­bonne Nou­velle, à Paris, en France

Le col­loque « Couper/générer. Le mon­tage à l’épreuve de l’IA », qui s’est tenu du 24 au 26 avril 2025 à la Mai­son de la Recherche de l’Université Sor­bonne Nou­velle, à Paris, était orga­ni­sé par le Labo­ra­toire Inter­na­tio­nal de Recherches en Arts et par l’Institut de recherche sur le ciné­ma et l’audiovisuel, avec la col­la­bo­ra­tion de l’Institut Uni­ver­si­taire de France. L’événement invi­tait plu­sieurs chercheur·ses, praticien·nes et artistes à inter­ro­ger les impli­ca­tions de l’intelligence arti­fi­cielle (IA) sur le concept et la pra­tique de montage.

André Gau­dreault, codi­rec­teur de cinEXmedia et du Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias, y a par­ti­ci­pé aux côtés de la pro­fes­sion­nelle de recherche Marie-Odile Demay, de la sta­giaire post­doc­to­rale Anna Koles­ni­kov et de la can­di­date au doc­to­rat en études ciné­ma­to­gra­phiques Tan­zia Mobarak.

« Mon­tage global »

La com­mu­ni­ca­tion d’André Gau­dreault et de Marie-Odile Demay, inti­tu­lée « L’IA à l’épreuve du mon­tage : jour­nal d’une expé­ri­men­ta­tion », retra­çait les étapes du par­cours de recherche de l’équipe depuis le moment où elle a com­men­cé à s’intéresser plus sérieu­se­ment à l’intelligence arti­fi­cielle, en avril 2024. « À l’origine, nous vou­lions abor­der son impact sur l’ensemble de la socié­té, explique André Gau­dreault. Puis, nous avons plon­gé dans les notions de mon­tage et de rythme. »

Un point tour­nant est sur­ve­nu dans ce par­cours en sep­tembre der­nier, lorsque l’artiste mul­ti­dis­ci­pli­naire Alain Omer Duran­ceau, avec qui le Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias col­la­bore pour son pro­jet DÉMARRER (2024 – BRDV, Uni­ver­si­té de Mont­réal), a fait par­ve­nir à l’équipe un court métrage qu’il avait réa­li­sé en deux jours avec l’aide de l’intelligence arti­fi­cielle. Inti­tu­lé Nei­ther Man Nor Movie Came­ra, celui-ci est ins­pi­ré de L’Homme à la camé­ra (1929), de Dzi­ga Ver­tov. « Nous avons vou­lu com­prendre, en pre­nant exemple sur ce film, en quoi la chaîne de pro­duc­tion d’une œuvre audio­vi­suelle pou­vait être modi­fiée par l’IA », pour­suit le pro­fes­seur Gaudreault.

C’est pour­quoi il a déve­lop­pé, avec Marie-Odile Demay, une « car­to­gra­phie » per­met­tant de « quan­ti­fier l’apport humain dans la créa­tion faite avec l’intelligence arti­fi­cielle », dit-il. Les chercheur·ses ont consta­té, par exemple, que dans le court métrage d’Alain Omer Duran­ceau, le mon­tage des images avait été effec­tué par l’artiste lui-même, car « les modèles de dif­fu­sion n’étaient pas capables de faire du mon­tage », sou­ligne Marie-Odile Demay.

Pho­to : Pierre Moi­san | De gauche à droite : Marie-Odile Demay, André Gau­dreault, Anna Koles­ni­kov et Tan­zia Moba­rak, au col­loque « Couper/générer. Le mon­tage à l’épreuve de l’IA », à Paris

Pré­ci­sons qu’un modèle de dif­fu­sion, notam­ment uti­li­sé pour la géné­ra­tion d’images (mais aus­si de sons ou de textes dans cer­tains cas), est un type de modèle géné­ra­tif fon­dé sur un pro­ces­sus pro­ba­bi­liste. Celui-ci simule la manière dont une don­née, comme une image, peut être pro­gres­si­ve­ment « détruite » par l’ajout de bruit aléa­toire, puis recons­truite à l’envers par le modèle. Le bruit cor­res­pond à l’information sous­traite, qui rend la don­née de plus en plus floue, défor­mée ou mécon­nais­sable. Des outils comme DALL·E 2, Stable Dif­fu­sion ou Mid­jour­ney reposent sur ce type de modèle.

Fort·es de ces décou­vertes, les chercheur·ses se sont engagé·es dans une série d’expérimentations avec l’aide d’Alain Omer Duran­ceau et de Yann Gui­zaoui, qui est quant à lui can­di­dat au doc­to­rat en études média­tiques, spé­cia­liste des inter­ac­tions humain-machine. « On a déci­dé de for­cer le modèle à faire des coupes, explique Marie-Odile Demay. On a réus­si, mais les résul­tats étaient peu concluants. »

L’équipe a fait de pre­miers essais avec des sys­tèmes pro­prié­taires, comme le logi­ciel Sora de la com­pa­gnie Ope­nAI, puis avec le modèle de dif­fu­sion en open source du logi­ciel Hunyuan Video, déve­lop­pé par la com­pa­gnie chi­noise Tencent. « L’open source nous a per­mis d’observer le pro­ces­sus de l’IA et de consta­ter que le modèle de dif­fu­sion, par la manière dont il fonc­tionne fon­da­men­ta­le­ment, fait du mon­tage à même ses pro­ces­sus de géné­ra­tion d’images », ajoute Marie-Odile Demay.

Pour qua­li­fier ce mon­tage effec­tué à la source même de la géné­ra­tion d’image par les modèles de dif­fu­sion, les deux cher­cheurs ont mis de l’avant la notion de mon­tage « glo­bal » – en réfé­rence à la notion d’« image glo­bale » déve­lop­pée à l’origine par le cinéaste et théo­ri­cien Ser­gueï Eisen­stein. André Gau­dreault com­pare d’ailleurs l’émergence de la réa­li­sa­tion de films au moyen de l’IA aux pre­miers temps du ciné­ma : « Pour moi, la sor­tie de Sora, qui per­met de créer des vidéos à par­tir de prompts, c’est une pre­mière mon­diale, au même titre que la pre­mière pro­jec­tion publique payante des frères Lumière au Grand Café, en 1895. »

Dzi­ga Ver­tov, entre la révo­lu­tion numé­rique et le pas­tiche postmoderne

Anna Koles­ni­kov et Tan­zia Moba­rak se sont elles aus­si ins­pi­rées du court métrage d’Alain Omer Duran­ceau, mais avec un angle dif­fé­rent de celui pri­vi­lé­gié par leurs col­lègues, pour leur confé­rence inti­tu­lée « Nei­ther Man Nor Movie Came­ra : Ver­to­vian Kino-Prav­da Meets Alain Omer Duranceau’s Pas­tiche ».

Les deux cher­cheuses se sont plus pré­ci­sé­ment inté­res­sées à celui qui a réa­li­sé le film ori­gi­nal de 1929, Dzi­ga Ver­tov : « Nous sou­hai­tions nous concen­trer sur Ver­tov, non seule­ment en tant que sujet de ce pas­tiche, mais aus­si en tant que per­sonne qui, par ses écrits et sa pra­tique ciné­ma­to­gra­phique, a été une source d’inspiration pour la com­pré­hen­sion de la révo­lu­tion numé­rique, explique Anna Koles­ni­kov. Nous vou­lions mettre en lumière le poten­tiel de l’étude des écrits et des œuvres de Ver­tov dans les réflexions actuelles sur l’esthétique de l’IA. »

Les deux films étu­diés ont ain­si été les points de départ d’une réflexion plus large sur la créa­tion et sur le concept de « pas­tiche post­mo­derne » à l’ère de l’intelligence arti­fi­cielle. « Nous avons mis en paral­lèle l’œuvre ori­gi­nale de Ver­tov et celle d’Alain Omer Duran­ceau avec d’autres œuvres pro­duites à l’aide de l’IA qui s’en ins­pirent, en com­men­tant l’émergence de cer­tains par­tis pris inhé­rents à l’intelligence arti­fi­cielle », sou­ligne Tan­zia Mobarak.

Il s’agissait pour les cher­cheuses d’observer la manière dont cer­tains cer­tains par­tis pris, ou pré­ju­gés, peuvent peuvent se glis­ser dans l’écriture des prompts et dans leur visua­li­sa­tion sub­sé­quente par l’IA. « Par exemple, contrai­re­ment au film ori­gi­nal, dans Nei­ther Man Nor Movie Came­ra, l’accent est mis sur la camé­ra et non sur la figure du mon­teur. De même, les femmes qui figu­raient en bonne place dans le film de Dzi­ga Ver­tov dis­pa­raissent dans le film d’Alain Omer Duran­ceau », pré­cise Anna Kolesnikov.

Les deux com­mu­ni­ca­tions ont donc per­mis à André Gau­dreault et son équipe de dif­fu­ser les résul­tats d’une année de recherches col­lec­tives, tout en met­tant cha­cune de l’avant une approche dis­tincte et inédite, jume­lant à la fois l’étude des pre­miers déve­lop­pe­ments du mon­tage ciné­ma­to­gra­phique et l’expérimentation avec les plus récents modèles de dif­fu­sion issus de l’intelligence artificielle.