André Gaudreault s’interroge sur l’intelligence artificielle à la Goethe-Universität

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Le 19 novembre der­nier, le cher­cheur a pro­non­cé une confé­rence, à Franc­fort-sur-le-Main, sur les bou­le­ver­se­ments que l’avènement de l’intelligence arti­fi­cielle entraîne dans la pro­duc­tion et la recherche cinématographiques.

Pho­to : William Ped­neault-Pou­liot | André Gau­dreault à la Goethe-Universität

Orga­ni­sées à chaque semestre depuis 2011 par l’Ins­ti­tut für Thea­ter, Film und Medien­wis­sen­schaft (Ins­ti­tut d’études théâ­trales, ciné­ma­to­gra­phiques et des médias) de la Goethe-Uni­ver­sität, à Franc­fort-sur-le-Main, en Alle­magne, les « Kra­cauer Lec­tures » ont pour objec­tif de « pré­sen­ter des tra­vaux contem­po­rains nova­teurs sur le ciné­ma et les médias dans les domaines des études ciné­ma­to­gra­phiques et média­tiques, de l’histoire de l’art, des études cultu­relles et de la phi­lo­so­phie esthétique ».

Chaque confé­rence est pré­cé­dée d’un ate­lier ouvert aux étudiant·es où l’opportunité leur est offerte d’échanger avec un·e professeur·e invité·e autour d’un thème don­né. Le 19 novembre der­nier, les étudiant·es ont ain­si pu échan­ger avec André Gau­dreault, membre fon­da­teur du Labo­ra­toire Ciné­Mé­dias, au sujet de l’identité du ciné­ma et de son ensei­gne­ment en tant que dis­ci­pline depuis les bou­le­ver­se­ments engen­drés par l’avènement du numérique.

La confé­rence a notam­ment per­mis au cher­cheur d’aborder les enjeux liées au futur des études ciné­ma­to­gra­phiques, dans un monde où les « médias » et les « conte­nus audio­vi­suels » prennent de plus en plus d’importance dans la sphère publique aux dépens d’une concep­tion plus tra­di­tion­nelle du « ciné­ma », ain­si qu’aux chan­ge­ments récents dans les noms et orien­ta­tions des dépar­te­ments uni­ver­si­taires consa­crés à ces disciplines.

L’identité du ciné­ma face au « grand bou­le­ver­se­ment » de l’intelligence artificielle

« L’arrivée de l’intelligence arti­fi­cielle va-t-elle trans­for­mer fon­da­men­ta­le­ment le ciné­ma ? Et aura-t-elle un impact sur notre concep­tion du ciné­ma ? » C’est avec ces deux ques­tions qu’André Gau­dreault a débu­té sa confé­rence, qui a offert plu­sieurs pistes de réflexion sur le « grand bou­le­ver­se­ment » engen­dré par l’intelligence arti­fi­cielle (IA).

Selon le cher­cheur, l’IA mène­ra indé­nia­ble­ment au « rem­pla­ce­ment de pra­tiques ou de métiers exis­tants par d’autres », tout en « obli­geant chacun·e à retra­vailler chaque facette de la créa­tion et de la pro­duc­tion, à une vitesse et à une échelle inéga­lées dans l’histoire de l’humanité ». Il faut alors se rendre à l’évidence : « L’IA existe désor­mais et nous devons la contrô­ler », dit-il.

Mais cela mène­ra-t-il à la fin du ciné­ma tel que nous le connais­sons ? « Avec l’avènement du numé­rique, le ciné­ma est des­cen­du de son pié­des­tal », affirme le cher­cheur. « Il se situe désor­mais par­mi les autres médias, et non au-des­sus d’eux. » Pour André Gau­dreault, l’avènement de l’IA n’a pas pour autant mené à « la mort du ciné­ma ». Au contraire, nous avons plu­tôt assis­té à sa « per­sis­tance », pour­suit le pro­fes­seur. L’IA pour­rait ain­si faire émer­ger le « Cine­mIA », ou encore le « film cyborg », c’est-à-dire de nou­velles méthodes de pro­duc­tion cinématographique.

Le cher­cheur a explo­ré ces pro­blé­ma­tiques en s’appuyant sur les notions de « séries cultu­relles » et de « double nais­sance des médias », qu’il déve­loppe conjoin­te­ment avec le pro­fes­seur Phi­lippe Marion depuis plu­sieurs années.

Il a éga­le­ment dévoi­lé les pre­mières conclu­sions du pro­jet DÉMARRER finan­cé par le Bureau recherche-déve­lop­pe­ment-valo­ri­sa­tion (BRDV) de l’Université de Mont­réal, qui inter­roge les « impacts indus­triels, créa­tifs et socié­taux sur la pro­duc­tion audio­vi­suelle géné­rée par les sys­tèmes d’intelligence arti­fi­cielle ». Ce nou­veau pro­jet com­porte un volet de recherche-créa­tion, réa­li­sé en col­la­bo­ra­tion avec le spé­cia­liste en pro­duc­tions sté­réo­sco­piques, Alain Omer Duran­ceau. Plu­sieurs expé­ri­men­ta­tions de l’artiste avec les outils liés à l’intelligence arti­fi­cielle, dont un court métrage inédit inti­tu­lé Nei­ther Man Nor Movie, entiè­re­ment réa­li­sé à l’aide d’outils de type text-to-video et text-to-music, ont ain­si été pré­sen­tés à l’auditoire.

L’intelligence arti­fi­cielle comme nou­veau sujet de recherche

Pré­ci­sons que la confé­rence ne visait pas à appor­ter des réponses défi­ni­tives à des pro­blé­ma­tiques somme toute récentes. Elle expo­sait plu­tôt les ques­tion­ne­ments qui ont occu­pé André Gau­dreault et ses collaborateur·rices au cours de la der­nière année. Tel que nous l’a confié le pro­fes­seur lors d’un entre­tien en marge de la confé­rence, les enjeux qu’il a pré­sen­tés se sont impo­sés en paral­lèle de l’avènement de l’IA comme sujet de recherche au sein du Labo­ra­toire CinéMédias.

« L’événement numé­ro un, c’est l’arrivée de Sora », dit-il. Ce nou­vel outil text-to-video de la com­pa­gnie Ope­nAI est appa­ru en février 2024. C’est à ce moment que la néces­si­té d’étudier l’intelligence arti­fi­cielle dans ses recherches ain­si que dans son sémi­naire « Ciné­ma et culture numé­rique », qu’il don­nait au même moment à l’Université de Mont­réal, s’est impo­sée à lui.

Ensuite, les évé­ne­ments se sont enchaî­nés rapi­de­ment, explique le pro­fes­seur. En mai 2024, André Gau­dreault et la cher­cheuse post­doc­to­rale Marie-Odile Demay ont sou­mis une demande de sub­ven­tion pour le pro­jet DÉMARRER, qu’ils ont obte­nue quelques mois plus tard. Au même moment, le cher­cheur concluait son sémi­naire « Ciné­ma et culture numé­rique » avec un cours entiè­re­ment dédié à l’IA – signe qu’une impor­tante trans­for­ma­tion s’était opé­rée en très peu de temps.

Le cher­cheur s’intéressait déjà au sujet plus large de la « révo­lu­tion numé­rique » depuis des décen­nies. Il sou­tient d’ailleurs avoir vou­lu « étu­dier les liens qu’il peut y avoir entre l’émergence de l’IA et la pré­cé­dente révo­lu­tion numé­rique ». « Dans les deux cas, explique-t-il, j’ai eu l’intuition que nous étions dans le domaine de “l’informatique avan­cée”. Gra­duel­le­ment, j’ai com­men­cé à me rendre compte que l’IA est néces­sai­re­ment le futur du ciné­ma. Mal­heu­reu­se­ment, peut-être, mais c’est la vie. Et c’est pour­quoi je me suis inté­res­sé à l’IA sous l’angle de l’identité des médias. »

L’engouement actuel pour l’intelligence arti­fi­cielle ne montre d’ailleurs aucun signe d’essoufflement selon lui. « On va conti­nuer à pro­gres­ser », lance-t-il avec enthou­siasme. Le cher­cheur est main­te­nant à la tête de plu­sieurs pro­jets de recherche en lien avec l’IA qui ver­ront bien­tôt le jour, notam­ment au sein du Pro­gramme de recherche sur l’archéologie et la généa­lo­gie du montage/edi­ting (PRAGM/e) et du Groupe de recherche sur l’avènement et la for­ma­tion des iden­ti­tés média­tiques (GRAFIM).

La confé­rence du 19 novembre à la Goethe-Uni­ver­sität repré­sente certes le bilan d’une pre­mière année de réflexions inten­sives de la part d’André Gau­dreault et de ses collaborateur·rices autour de l’avènement de l’intelligence arti­fi­cielle. Mais elle consti­tue encore davan­tage le point de départ de recherches plus pro­fondes et une invi­ta­tion à réflé­chir col­lec­ti­ve­ment aux dif­fé­rentes muta­tions engen­drées par cette nou­velle réalité.