Portrait : Antonio Zadra sonde nos rêves à partir du cinéma

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Le cher­cheur, qui étu­die les troubles du som­meil et les rêves, s’intéresse désor­mais au ciné­ma, non seule­ment en tant que mani­fes­ta­tion par­fois incons­ciente de nos rêves, mais aus­si comme un lan­gage qui peut nous per­mettre de mieux les comprendre.

Pho­to : World Sleep Socie­ty | Anto­nio Zadra lors d'une confé­rence à Van­cou­ver, en 2020

Pour­quoi et com­ment nous sou­ve­nons-nous de nos rêves ? Com­ment le conte­nu des rêves est-il relié à la vie éveillée ? Pour­quoi rêve-t-on ? Telles sont les ques­tions qui animent les tra­vaux de recherche du pro­fes­seur titu­laire en psy­cho­lo­gie et direc­teur du Labo­ra­toire de recherche sur les rêves à l’Université de Mont­réal, Anto­nio Zadra. Le cher­cheur s'intéresse aux rêves depuis ses années au cégep, un inté­rêt qui l'a conduit à étu­dier non seule­ment dif­fé­rents types de rêves, tels que les rêves lucides et les cau­che­mars, mais éga­le­ment des troubles du som­meil connexe, notam­ment le som­nam­bu­lisme et les ter­reurs nocturnes.

Plus récem­ment, il se tourne vers le ciné­ma, tan­dis qu’il mène, avec San­tia­go Hidal­go, direc­teur du par­te­na­riat cinEXmedia, un vaste pro­jet com­por­tant trois volets.

Les deux pro­fes­seurs s’intéressent dans un pre­mier volet à la manière dont les chercheur·euses qui tra­vaillent sur les rêves uti­lisent le lan­gage ciné­ma­to­gra­phique pour les décrire. Anto­nio Zadra explique par exemple qu’il y a des ellipses dans les rêves, puisqu’on ne se sou­vient pas de toutes les images qui les com­posent. « On peut avoir rêvé une dizaine de minutes et avoir l’impression qu’on a vécu un récit qui s’est éti­ré sur plu­sieurs mois », dit-il. Le ciné­ma accom­plit la même chose. Ain­si, tant le ciné­ma que les rêves sont des pro­duits de l’imagination ou « des récits que l’on se crée et qui peuvent revê­tir des formes inusi­tées », pour­suit le chercheur.

Le deuxième volet de leur pro­jet consiste en l’analyse des impacts des dif­fé­rents médias que nous consom­mons avant de nous endor­mir sur le som­meil et les rêves. Les cher­cheurs recueillent des don­nées sur les appa­reils (télé­phones cel­lu­laires, ordi­na­teurs por­tables, télé­vi­seurs, etc.) que nous uti­li­sons, sur les rai­sons de cette uti­li­sa­tion (par exemple pour consul­ter les réseaux sociaux, jouer à des jeux vidéo ou regar­der des films) et sur le contexte dans lequel nous uti­li­sons ces appa­reils, notam­ment si nous regar­dons nos écrans direc­te­ment depuis notre lit. L’étude menée par Anto­nio Zan­dra et San­tia­go Hidal­go vise par ailleurs à nuan­cer les conclu­sions de recherches anté­rieures sur le sujet, en recon­nais­sant que l’utilisation des écrans avant le som­meil peut aus­si avoir des effets posi­tifs selon le type de conte­nu consom­mé. Ces effets res­tent cepen­dant à déterminer.

Le troi­sième et der­nier volet de leur pro­jet consiste en la pré­sen­ta­tion de deux types de films très dif­fé­rents l’un de l’autre en termes de thé­ma­tiques, de rythmes, de dia­logues et de prises de vue à des participant·es, afin d’évaluer les impacts dif­fé­ren­tiels de ces vision­ne­ments sur les rêves. Alors que beau­coup de gens rap­portent que leurs rêves sont influen­cés par les films qu’ils visionnent, les deux cher­cheurs tentent de com­prendre quelles sont les dimen­sions du ciné­ma ayant un impact sur le conte­nu des rêves, en ques­tion­nant la rai­son et la manière dont cette influence se pro­duit d’une per­sonne à l’autre. Ils se penchent, entre autres choses, sur l’interaction qui s’effectue avec la per­son­na­li­té des indi­vi­dus et leurs habi­tudes de vie. « Sommes-nous engagé·es par les per­son­nages, par l’histoire, par les émo­tions vécues ? », se demande le pro­fes­seur Zadra. « Par­fois, les gens res­sentent la même émo­tion dans leur rêve que celle res­sen­tie en regar­dant un film ou encore rêvent à l’un des per­son­nages, mais c’est seule­ment cette par­tie qui est extraite du film en question. »

Para­som­nies

Anto­nio Zadra se spé­cia­lise géné­ra­le­ment dans les recherches sur les para­som­nies, des expé­riences ou des com­por­te­ments incon­trô­lables et non dési­rés qui ont lieu au cours du som­meil. Ce qui l’intéresse le plus, c’est d’acquérir une meilleure com­pré­hen­sion de ce qui se passe dans le cer­veau lors de la géné­ra­tion des para­som­nies, afin de les éva­luer cli­ni­que­ment et de trou­ver des trai­te­ments effi­caces. Il sou­haite éga­le­ment obser­ver l’impact que ces troubles peuvent avoir sur le som­meil en géné­ral et le bien-être.

Pro­fon­dé­ment mar­qué par un rêve lucide – un rêve pen­dant lequel on est conscient·e d’être en train de rêver – qu’il a fait lorsqu’il était au cégep, Anto­nio Zadra s’est mis à lire sur le som­meil et sur les recherches sur les rêves qui se fai­saient en labo­ra­toire. Il s’est ensuite inté­res­sé à la cap­ta­tion de l’activité élec­trique du cer­veau pen­dant le som­meil de même qu’aux troubles du som­meil reliés à l’onirisme et plus par­ti­cu­liè­re­ment au som­nam­bu­lisme et aux ter­reurs noc­turnes. Ses inté­rêts se sont par la suite éten­dus aux cau­che­mars, aux rêves lucides, aux rêves récur­rents, aux rêves des enfants et plus encore. Il a depuis long­temps un grand inté­rêt envers les élé­ments qui influencent les rêves, dont les œuvres artis­tiques, ain­si qu’envers la manière dont les rêves sont pré­sen­tés dans les œuvres lit­té­raires ou cinématographiques.

« Tout cela me pas­sionne : savoir com­ment les rêves et la concep­tion que les gens s’en font viennent influen­cer leur vision artis­tique. Les rêves nous amènent à créer des lieux, des per­son­nages et des uni­vers fan­tas­tiques », conclut le chercheur.